Biden a besoin des électeurs noirs de Détroit, mais iront-ils voter?
DÉTROIT — Wendy Caldwell-Liddell en a marre d’attendre que les choses changent à Détroit.
La plus grande ville des États-Unis à majorité noire a été dévastée par la pandémie de coronavirus et ses retombées économiques. On recense actuellement plus de 14 000 infections et 1500 décès dus au virus dans la ville.
Donc, quand on demande à cette jeune femme noire de 29 ans et mère de deux enfants ce qui est en jeu le 3 novembre, la réponse est simple: tout. Elle est déterminée à contribuer à la défaite du président Donald Trump.
«Trump a remporté le Michigan par moins de 11 000 votes, rappelle Mme Caldwell-Liddell, la cofondatrice de la nouvelle organisation de base Mobilize Detroit. On se dit donc que si on peut inciter 15 000 ou 20 000 personnes de plus à aller voter, ça pourrait changer la trajectoire du Michigan lors de l’élection présidentielle.»
Les électeurs noirs joueront un rôle de premier plan pour décider qui de Joe Biden ou de Donald Trump remportera cet État dans moins de deux mois. Mais il est particulièrement difficile de les mobiliser en cette période d’incertitude et d’instabilité profondes à travers le pays.
«Plusieurs Noirs ont reçu de nombreux coups dans le ventre en 2020, a expliqué le lieutenant-gouverneur Garlin Gilchrist, le premier Afro-Américain à occuper ce poste. Mais je sais aussi que les Noirs, et les femmes noires en particulier, vont faire ce qu’ils ont à faire… Donald Trump représente une telle menace existentielle à la vie et à l’avenir des Noirs que je pense que nous allons aller voter pour nous assurer qu’il ne sera plus président.»
M. Trump et le candidat démocrate Joe Biden se disputent l’appui de l’électorat noir du Michigan. M. Biden a visité Détroit plus tôt ce mois-ci et sa colistière, Kamala Harris, était à Détroit et à Flint cette semaine pour discuter avec les électeurs.
La campagne Trump a ouvert un bureau dans la portion ouest de Détroit, la première présence républicaine dont se souviennent les résidants du quartier. Des membres de la campagne affirment que des bénévoles passent de porte en porte et organisent différentes activités à travers l’État.
«Pendant toute sa campagne, Biden a essayé de dépeindre le président Trump comme quelqu’un qu’il n’est pas, dans une tentative transparente pour camoufler sa propre performance raciste catastrophique au sujet de l’Amérique noire, a affirmé par voie de communiqué un porte-parole de la campagne Trump, Ken Farnaso. Avec le président Trump (au pouvoir), les Afro-Américains savent qu’ils ont un véritable guerrier et militant à leur service.»
Mais dans une ville qui a toujours été un bastion démocrate, la présence de M. Trump inquiète des responsables locaux qui souhaiteraient que la campagne Biden soit plus visible.
«On ne voit aucun effort de mobilisation, et c’est stupéfiant, a dit Nicole Smith, une membre de la Detroit Charter Commission. Et ce qu’on voit, surtout parmi les jeunes Noirs et ceux qui vivent dans la pauvreté, ce sont des gens qui se demandent ce que ça changera, qu’ils votent pour Trump ou pour Biden. Le Parti démocrate ne s’occupe pas d’eux et les laisse de côté.»
La représentante démocrate Rashida Tlaib assure que ses employés et bénévoles s’apprêtent à aller cogner aux portes dans son district majoritairement noir.
«Je leur explique que ce n’est pas seulement une question des noms sur les bulletins de vote, a dit Mme Tlaib. Ça concerne les questions qui nous préoccupent. Il faut se rapprocher de la fin des systèmes défectueux qui ont été si opprimants et si douloureux pour plusieurs de nos communautés de couleur.»
La campagne Biden et les responsables démocrates locaux disent rejoindre les l’électorat avec des événements virtuels et placer des «millions d’appels et de textos» auprès des électeurs du Michigan. Ils ont aussi multiplié les dépenses publicitaires à la télévision, à la radio et en ligne, en plus d’installer des milliers d’affiches.
Lors d’une entrevue à la radio de Détroit plus tôt ce mois-ci, M. Biden a rappelé que le Michigan, et les électeurs noirs de Détroit, sont «excessivement importants».
«Quand j’étais vice-président, vous vous souvenez que c’est à moi qu’on avait confié la responsabilité de relancer Détroit?, a-t-il dit. Je vais continuer à revenir, si Dieu le veut, pour expliquer pourquoi ce que le président a fait à la communauté afro-américaine a été dévastateur, et que ce que j’ai fait pendant toute ma carrière a été stimulant.»
Dans le comté de Wayne, qui est à 39 % noir et qui englobe Détroit, Hillary Clinton a récolté 66 % des votes en 2016, une glissade importante par rapport aux 80 % engrangés par Barack Obama en 2012. Environ 37 000 personnes de moins sont venues voter en 2016, comparativement à 2012.
Les responsables démocrates de l’État assurent avoir appris leurs leçons et que le parti travaille pour rejoindre les électeurs noirs.
«On sent l’enthousiasme quand on voit le nombre de gens qui participent à nos événements virtuels, le nombre de gens qui veulent participer aux événements en personne avec Joe et Jill Biden, a dit la présidente du Parti démocrate du Michigan, Lavora Barnes. Les gens sont très enthousiastes de venir voter pour Joe Biden et Kamala Harris, pour chasser ce président en novembre.»
Mais au coeur même des quartiers de Détroit, le militant Ramone Jackson prévient que des électeurs qui peinent à survivre ne s’intéressent pas au processus politique.
«Notre situation est difficile en tant que communauté noire, et nous devons comprendre le pouvoir que nous avons, a dit M. Jackson, qui depuis plusieurs mois enseigne aux gens le pouvoir du bulletin de vote, avec une emphase particulière sur les élections locales. Ce pouvoir, ce sont nos représentants au Congrès, pas le président. Il faut leur demander des comptes.»
Mais il demeure difficile de rejoindre les électeurs désintéressés ou les jeunes électeurs noirs qui ont peut-être des tendances plus progressistes — des pans cruciaux de l’électorat que Detroit Action essaie d’énergiser, assure son patron, Branden Snyder.
«Il y a environ 48 000 jeunes qui se sont inscrits depuis mars et que nous essayons de mobiliser, a dit M. Snyder, un ancien responsable local de la campagne présidentielle de Hillary Clinton en 2016. Nous construisons une armée que nous pourrons mobiliser non seulement cette année pour la présidentielle, mais en 2021 pour les élections locales.»
Mais les électeurs noirs de la banlieue, comme Lucell Trammer, s’attendent aussi à voir le parti leur tendre la main. L’homme de 40 ans, père de deux enfants, habite le comté d’Oakland.
«Nous appartenons à tous les groupes démographiques, à tous les pans de l’électorat, dans tous les comtés, a dit M. Trammer, qui rappelle que les électeurs noirs ne forment pas un bloc monolithique, et que leurs classes sociales et leurs histoires sont variées. Nous sommes un peu le baromètre, surtout les Afro-Américaines. Je le dis tout le temps: si vous n’écoutez aucun autre pan de l’électorat, écoutez les Afro-Américaines.»
Kat Stafford, The Associated Press