En 2021, les personnes trans, non-binaires et intersexes sont toujours invisibles dans la documentation médicale et quasi totalement absentes de la recherche scientifique. Un problème qui exacerbe leurs craintes face au système de santé, selon les intervenants consultés par Métro.
En effet, la bioéthicienne transféminine et étudiante au doctorat à la Faculté de droit et au Centre conjoint de bioéthique de l’Université de Toronto, Florence Ashley, explique que les personnes trans sont systématiquement exclues des recherches.
«Si on parle de recherches spécifiques aux personnes trans, on parle de sous-financement assez grave. Pour ce qui est du reste, on parle d’exclusion totale», affirme-t-ille*.
D’ailleurs, si ille désirait participer à une étude sur un médicament quelconque, il y a de très fortes chances que Florence Ashley se fasse tout simplement refuser en raison de son identité de genre trans non-binaire.
Cela fait en sorte que les réalités des personnes trans, non-binaires et intersexe sont sous-étudiées. «C’est un gros problème qui fait qu’on n’a pas nécessairement de compréhension de certains enjeux comme les interactions entre l’hormonothérapie», souligne Florence Ashley.
Même son de cloche du côté de l’activiste en droits trans du Centre de lutte contre l’oppression des genres, Céleste Trianon. «Les docteurs ne savent pas comment procéder parce qu’il n’y a pas de méthode spécifique à cause de ce manque de recherche médicale», indique-t-elle.
Le problème de la présomption basée sur le genre
De plus, l’utilisation du genre comme certification biomédicale peut poser des problèmes pour les personnes trans, indique Florence Ashley.
En effet, dans les systèmes médicaux qui se basent sur l’information de genre, les professionnels de la santé peuvent faire des présomptions basées sur le marqueur de genre, souligne-t-ille. «Ça peut causer des problèmes quand les gens prennent pour acquis que telle ou telle personne va avoir tel ou tel organe ou tels besoins médicaux à cause de son genre», précise-t-ille.
Par ailleurs, puisque le codage médical est rarement adapté aux personnes trans, certains services peuvent leur être refusés, explique Florence Ashley. «Pendant un certain temps, on ne voulait pas changer mon marqueur de genre quand on me demandait des tests sanguins. Ça faisait que mes tests sanguins avaient tout le temps l’air d’être absolument hors norme parce qu’ils me comparaient avec des hommes», raconte-t-ille.
Craintes des hôpitaux et des cliniques
Finalement, le fait d’être trans ou non-binaire est «plus ou moins existant» dans les systèmes médicaux, explique Florence Ashley. C’est pour cette raison que plusieurs évitent les hôpitaux par peur d’être discriminées, mégenrées ou harcelées à cause de leur identité de genre.
C’est notamment le cas de Alexe Frédéric Migneault. En tant que personne non-binaire, iel* ne supporte pas de se faire appeler «madame» ou «monsieur» à l’intercom, par exemple.
«Il y a ce genre de choses-là et des comportements qui sont fortement ancrés dans les fonctionnements en santé, qui sont complètement incontournables, et que je dois éviter. […] Ça me blesse puisque je me sens invalidé.e, ignoré.e et pas respecté.e. Ce sont des micro-agressions qui peuvent faire la différence dans la façon dont je me sens perçu.e.», poursuit-iel.
Depuis la récente décision de la Cour supérieure du Québec qui a invalidé plusieurs articles du Code civil du Québec jugés discriminatoires envers les personnes trans ou non binaires, Alexe Frédéric Migneault a pu cacher son sexe assigné à la naissance sur son certificat de naissance, et ainsi sur sa carte d’assurance maladie.
Toutefois, rien ne lui permet d’afficher complètement son identité non-binaire puisqu’il n’y a aucune option en ce sens dans les documents légaux ou médicaux.
Cela a créé un problème pour Alexe Frédéric Migneault en avril dernier alors qu’iel a eu une détresse respiratoire et a dû se rendre dans un hôpital où iel n’avait pas été depuis des années sans sa carte d’assurance-maladie.
«À l’hôpital, tout ce qu’ils avaient, c’était mon identité précédente, poursuit-iel. […] Ils ont donc voulu me mettre un bracelet avec mon ancien nom et encore une fois mon sexe marqué dessus. Quand j’ai refusé de le porter, ça a créé des tensions avec le personnel infirmier et avec les préposées. Tout le monde parlait dans mon dos, je le voyais bien. Je me suis senti.e ciblé.e, j’ai senti qu’on ne me prenait pas au sérieux et qu’on ne m’écoutait pas.»
Encore des barrières légales pour certains
S’il est maintenant possible pour un Québécois de changer ou de cacher son sexe sur certains documents, des barrières demeurent pour certains, comme les personnes de moins de 18 ans et les personnes migrantes sans certificat de naissance, explique Céleste Trianon.
Elle ajoute que même les personnes qui sont parvenues à le faire ont peur d’y aller considérant le manque de connaissances des professionnels de la santé aux enjeux spécifiques aux personnes trans, non-binaires et intersexes.
Selon tous les intervenants, il est clair que pour améliorer la qualité de vie des personnes trans, non-binaires et intersexes, il faudrait accorder moins d’importance au sexe dans les documents légaux.
*iel et ille sont deux pronoms de la troisième personne du singulier neutres, c’est-à-dire sans distinction des sexes, utilisés pour désigner certaines personnes non-binaires. Les pronoms utilisés dans le texte sont ceux utilisés par les intervenants respectifs.