Depuis cinq ans, les quelque 10 employés du Centre de technologies avancées de GM (CTA), situé dans la Silicon Valley, prennent le café avec Apple, mangent un muffin avec Hewlet-Packard et dégustent un yogourt glacé avec Google. Et personne ne leur tape sur les doigts.
C’est que le centre californien de Palo Alto constitue rien de moins que les yeux et les oreilles du constructeur américain, le moyen pour lui de rester à l’affût de tout ce qui se passe dans le monde de
la technologie. C’est pourquoi il encourage ses docteurs en science et ses détenteurs de MBA à frayer avec l’une ou l’autre des 2 000 compagnies qui bouillonnent dans le secteur. L’objectif visé est simple: faire le pont entre les différentes découvertes de l’heure et le monde automobile. Et rapidement, s’il vous plaît.
Déjà, le CTA a permis la création l’an dernier de l’Autonet Mobile WiFi Hotspot, un dispositif qui permet aux occupants des véhicules en mouvement de se connecter à l’internet à peu près n’importe où. Pas au Canada toutefois: c’est une histoire de fournisseurs qui nous prive toujours du service, soutient un porte-parole de GM Canada. Par ailleurs, si on a utilisé un innovateur insonorisant LASD (Liquid applied sound deadening) pour la nouvelle Buick LaCrosse, c’est grâce au «think tank» de Palo Alto, qui a imaginé ce matériel à la fois performant et léger – doit-on rappeler que moins de poids signifie, pour une voiture, moins de carburant consommé.
Top secret, mais…
D’autres technologies devraient bientôt poindre sous la houlette du CTA, qui, avec ses grandes portes vitrées, ressemble à s’y méprendre à un concessionnaire automobile. Quelles technologies? Top secret. Ben voyons, pensiez-vous vraiment que Byron Shaw, qui dirige la dizaine de chercheurs du CTA, allait confier quoi que ce soit aux médias? Tst tst tst: tout va trop vite dans ce milieu, et la plus petite avancée d’hier risque d’être obsolète demain. Donc, top secret.
Tout au plus, M. Shaw se contente de dire que son équipe travaille activement, entre autres, à permettre aux automobilistes de demain de faire, avec leurs véhicules, ce qu’ils peuvent déjà accomplir avec leurs téléphones intelligents. En conduisant. Et en toute sécurité. Une tâche pas facile, avouez. Parlez-en à Ford, qui s’est fait reprocher des commandes vocales Sync plus ou moins intuitives…
En un clin d’œil
Commandes vocales… écrans tactiles… Demain, ce sera le mode haptique, qui crée une résistance virtuelle de l’affichage (comme Lexus le propose déjà), question de faciliter la recherche par menus. Ou encore, ce seront les écrans configurables. Byron Shaw laisse même échapper qu’après-demain, un simple clin d’œil pourrait faire «la job». Imaginez: un menu se déroule, et d’un clignement de la paupière, on pourra choisir entre «restos italiens» ou «restos thaïs».
Un autre clin d’œil, et la recherche se transformera en directions routières, voire en une réservation téléphonique. Et il y aura moyen de rentabiliser tout ça, soutient le directeur du CTA. Pensez-y un peu: quelle est la probabilité qu’un automobiliste qui cherche un hôtel procède effectivement à une réservation?
Assurément, la probabilité est beaucoup plus grande que celle de voir un simple internaute attablé à un café, surfant juste pour le plaisir ou pour le rêve, poser un tel geste. Car l’automobiliste, lui, a de bonnes chances d’être réellement à la recherche d’un endroit où dormir. Surtout si son véhicule montre, sur l’ordinateur de bord, qu’il roule depuis des heures, si l’horloge indique que la nuit va tomber et si le réservoir d’essence s’affiche presque vide.
«Voilà pourquoi les grandes chaînes hôtelières ont intérêt à devenir des partenaires publicitaires, dit Byron Shaw. C’est pratique pour les conducteurs, mais c’est aussi avantageux pour nous, comme compagnie. Après tout, nous voulons faire de l’argent. Même que nous voulons être Google!» Google, rien de moins.
Les commandes audio ne passeraient pas le test
Premier grand défi de ces futurs systèmes de communication: convenir à toutes les bourses. «C’est facile de concevoir une technologie pour une voiture de luxe qui coûte, à l’achat, des dizaines de milliers de dollars, dit Byron Shaw. Mais c’est tout un challenge que de concevoir un tel dispositif pour des voitures économiques.»
Comme Ford l’a fait avec son Sync? «Nous devons faire encore mieux, dit Byron Shaw. Le Sync est une option qui coûte plusieurs centaines de dollars; mon rêve, c’est d’en arriver à quelque chose qui coûte moins de 100 $.»
Le plus important, c’est de rendre le tout suffisamment user friendly pour que le conducteur ne soit pas distrait de sa tâche principale: conduire. «Vous savez, dit encore Byron Shaw, ces boutons de système audio qu’on tourne… Eh bien aujourd’hui, selon nos protocoles de sécurité, ils ne passeraient même pas le test.»
Directement sur son Facebook
Bien sûr, la Silicon Valley étant ce qu’elle est, toutes sortes d’idées folles y sont lancées. Le CTA ne fait pas exception. Pourquoi, se demande-t-il, ne pas profiter de la présence des caméras d’assistance au stationnement pour… photographier les environs et les partager presque instantanément sur son profil Facebook?
Assurément plus utile: un dispositif qui prendrait le relais des textos de façon sécuritaire et… le plus facilement du monde. Voilà qui résoudrait un grave problème. Oh, mais attendez: Ford et Toyota proposent déjà des logiciels qui permettent la chose.
Parce qu’on n’arrête pas le progrès. De fait, on n’y échappe pas: les gens veulent rester en contact avec leur monde, même lorsqu’ils sont derrière le volant. Il suffit de jeter un œil dans les habitacles automobiles autour de soi pour voir quelqu’un le cellulaire à l’oreille… ou la main sur le clavier du texto. Ce qui est illégal au Québec, doit-on le rappeler?
Après les essuie-glace…
Tous des délinquants irresponsables, les automobilistes? Sans vouloir défendre ces derniers, Byron Shaw les comprend: «Les gens sont connectés au bureau, à la maison, dans la rue, et même quand ils prennent un café au Starbuck… Mais lorsqu’ils montent dans leur véhicule, c’est le trou noir, le néant, la préhistoire de la communication.»
C’est pour cette raison que les chercheurs du CTA.montent régulièrement à bord de «leur» prototype de Buick Enclave, spécialement réaménagé pour tester logiciels et gadgets du futur. Car «c’est une chose de développer et d’essayer en laboratoire, mais c’en est une autre d’opérer dans un véhicule en marche», dit Byron Shaw.
L’objectif reste toujours de concilier ce qu’on fait sans trop de distraction depuis 100 ans – conduire les mains sur le volant et les yeux sur la route – avec cette immuable avancée des technologies de connectivité.
L’humain devrait pouvoir relever rapidement le défi. Après tout, les premiers essuie-glace et les premiers systèmes radio, à l’aube de la révolution automobile, ont indigné les autorités et la populace, qui ont dénoncé en chœur ces terribles facteurs de distraction au volant. Comme quoi plus ça change, plus c’est pareil…