La «revanche» des ITSS
Les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) sont en forte hausse au Québec, notamment chez les jeunes de 15 à 24 ans. Chaque année, 40 000 personnes reçoivent un diagnostic d’ITSS, selon le ministère de la Santé.
«C’est une petite fraction du nombre réel d’infections», lance Dr Marc Steben, médecin de famille spécialisé en santé sexuelle. «Tout le monde voit cette revanche des ITSS, où on atteint des niveaux qui n’ont pas été atteints auparavant.» Dr Steben témoigne notamment de cas de syphilis chez les femmes hétérosexuelles, ce qui ne serait pas vu depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Cette augmentation pourrait être également due à une plus grande sensibilisation — plus de gens allant se faire dépister — et à de meilleures techniques de dépistage, selon Laurence Desjardins, sexologue.
Bien que l’augmentation des infections soit observable partout dans la province et ailleurs dans le monde, Montréal, «ville de fête et de party», peut-être un terreau fertile pour les ITSS, note Dr Steben.
«Consommation d’alcool, drogue, fête, tout ça favorise les contacts sexuels», abonde Laurence Desjardins. Notamment, les infections augmentent généralement quelques jours après les gros évènements comme ÎleSoniq, Osheaga et les festivités de la Fierté, à ses dires.
On observe dans la métropole un plus haut taux de personnes vulnérables, notamment les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et les consommateurs de drogues par injection ou inhalation en ce qui concerne le VIH/sida, souligne-t-elle. On retrouve également en ville, en raison du tourisme et de l’immigration, plus de personnes en provenance de pays ou certaines ITSS sont endémiques, poursuit-elle.
Les jeunes particulièrement à risque
Dr Steben observe une certaine banalisation des ITSS chez les plus jeunes, qui n’ont pas vécu la crise du VIH/sida des années 80 et 90. «Il y a 30 ou 40 ans, avoir un diagnostic de VIH, c’était habituellement un diagnostic de mort appréhendée dans les 3 ans», rappelle-t-il. De plus, la majorité des personnes porteuses d’ITSS n’ont pas de symptômes et vivent donc avec une fausse impression de sécurité, ajoute-t-il.
L’augmentation des «relations sexuelles sans attaches émotives» et la popularité des applications de rencontre chez les jeunes génèrent plus d’occasions de contracter des ITSS, selon lui. «[Il y a 10, 20, 30 ans], on avait plus de relations sexuelles en nombre absolu, mais aujourd’hui les gens ont beaucoup plus de partenaires», explique-t-il.
La gêne de parler de contraception et les tabous liés aux ITSS expliquent en partie la vulnérabilité des adolescents et jeunes adultes, selon Laurence Desjardins. «Ils associent le condom à être sexuellement actif ou à la maladie. Ils ne veulent pas être associés à l’un ou à l’autre, donc ils vont se tenir loin.»
Tant aussi longtemps qu’il y aura une honte associée aux ITSS, on va les perpétuer.
Laurence Desjardins, sexologue
L’immaturité, l’ignorance et l’impulsivité généralement associées à la jeunesse constituent également des facteurs de risque. «S’ils n’ont pas de condoms sur eux, moins portés à aller en chercher ou attendre demain.»
Les jeunes ont aussi plus difficilement accès à des préservatifs pour des raisons économiques, estime Laurence Desjardins. Beaucoup n’ont également pas la débrouillardise ou le courage pour aller demander aux intervenants de leur école ou d’un CLSC les condoms disponibles gratuitement.
Des pratiques sexuelles gagnant en popularité et répondant à un besoin de découverte, comme le chem sex — la consommation de drogue dans le cadre d’activité sexuelle — ou le partage de jouet sexuel, comprennent également leur part de risque, affirme le Dr Steben.
Normaliser les ITSS
Manque d’éducation et stigma : les principaux obstacles aux dépistages et à l’accès aux soins sont culturels et non administratifs, avance Laurence Desjardins.
On ne veut pas banaliser les ITSS, mais on veut les normaliser, dans la mesure où elles existent et font partie d’une vie sexuelle active, avance-t-elle. Les ITSS sont simplement une réalité à laquelle on s’expose, tout comme une grossesse non désirée ou des expériences positives, comme un orgasme, explique la sexologue. Bien qu’il faille faire attention pour l’éviter, l’infection n’enlèverait rien à notre valeur ni nous définirait comme personne.
Il faut de meilleurs programmes d’éducation à la santé sexuelle dans les écoles et la mise en place de grande campagne sociétale claire pour encourager le port du condom et sensibiliser aux ITSS, plaide de son côté Dr Steben.
Des fois, on a des messages du gouvernement qui sont un peu stérilisés. C’est difficile de comprendre comment ça te touche personnellement, comme quelqu’un de sexuellement actif.
Dr Marc Steben, médecin de famille spécialisé en santé sexuelle
Laurence Desjardins estime que l’on doit tenir un «discours double» en matière de sexualité, pour atteindre l’équilibre entre «faire attention et se laisser aller». On doit s’éloigner de l’ancien discours axé sur la peur, mais on ne peut se contenter de dire que la sexualité est belle et n’est que partie de plaisir, précise-t-elle.
Où se faire dépister?
Biron met à la disposition de tous en ligne, un formulaire d’autoévaluation des facteurs de risque. Les gens peuvent ainsi répondre gratuitement et confidentiellement au questionnaire en ligne, et par la suite prendre rendez-vous dans leur CLSC, avec leur médecin ou leur infirmière, dans une clinique spécialisée ou chez Biron directement. Biron offre de recevoir les résultants en 24h, moyennant un coût.
Laurence Desjardins recommande également le service d’autoprélèvement de Prelib. Une personne souhaitant se faire dépister n’a qu’à répondre à un questionnaire médical et prendre un rendez-vous pour le prélèvement. Une infirmière sur place remettra les prélèvements nécessaires, et au besoin, fera une prise de sang. Pour les adhérents à la RAMQ, le service coûte entre 5 et 15$ et est gratuit pour les moins de 21 ans. Les résultats sont reçus entre 7 et 10 jours ouvrables.
Ces procédures de dépistage sont rapides et minimisent la gêne, souligne Laurence Desjardins. «On n’a pas à tout raconter à un autre être humain, à discuter avec une réceptionniste ou un médecin.»