La guerre à Donald Duck
CHRONIQUE – Le soleil tape, sympathique, comme l’immense majorité de ces bonnes gens, le climat, l’atmosphère et les vibrations. Rien, à première vue, qui ne distingue le Miami d’il y a une dizaine d’années, ma dernière apparition ici.
Mais derrière les façades du jovialisme, les structures sociétales de la Floride, à l’instar des États-Unis entiers, s’amenuisent et s’écroulent. Parce qu’à charge de redite, là où l’État de droit s’effondre, le vivre-ensemble emboîte le pas.
Il y a quelques jours à peine, un nettoyeur de piscine privée s’est vu fusillé par le propriétaire des lieux. Quelques dizaines de balles, envoyées d’un AR-15. Malgré sa méprise sur la personne, le tireur crinqué s’évitera les accusations en vertu de «Stand Your Ground», loi d’abord adoptée en Floride et maintenant applicable dans plusieurs autres États. Une anecdote? Pas si l’on considère que plus de 700 meurtres permis par ladite Loi sont annuellement enregistrés.
Mais il y a, malheureusement, beaucoup plus: l’arrivée de Ron De Santis à titre de gouverneur a plongé l’État-Soleil dans un inéluctable maelström difficile à circonscrire dans une simple chronique, vu son ampleur.
D’abord, l’interdiction d’avorter après… six semaines. Grand cœur, De Santis permettra néanmoins aux femmes violées l’avortement jusqu’au délai fatidique de quinze semaines, en autant, bien entendu, qu’elles puissent fournir la preuve policière ou judiciaire du viol en question. Magnifique.
Ensuite, l’adoption du «Don’t Say Gay Bill», déjà discuté ici, lequel interdit aux profs, comme son nom l’indique, de même prononcer en classe le mot «gai» et ses variantes, histoire de protéger les enfants de la diversité sexuelle. S’ajoute à ce qui précède l’interdiction, tout autant odieuse, de référer aux menstruations avant que les élèves ne soient âgées d’au moins 12 ans. Le motif de la Loi? On cherche encore. Opposés à l’absurde, les démocrates floridiens répliquent: «Imaginez la jeune fille de quatrième année qui retrouve du sang dans sa culotte et qui croit être en train de mourir, alors que l’on interdit à son prof, même a posteriori, la possibilité de lui expliquer que ceci fait partie de la vie.»
Troisièmement – et celle-ci est particulièrement spectaculaire – la guerre menée face aux «wokes», d’une bêtise stratosphérique. Au point où une loi – une autre! – est aujourd’hui applicable afin de stopper l’irréductible menace. Son nom? «Wrong to Our Kids and Employees Act» ou, plus simplement, le «Stop-Woke Act». Comme on dit par ici, I shit you not.
Il est question, principalement, d’interdire aux institutions éducationnelles et autres business d’enseigner aux élèves ou employés quelconque concept pouvant les faire «sentir coupables» quant à leur race, couleur, sexe ou origine nationale. Un exemple: les profs des universités de la Floride ne peuvent plus démontrer, même preuve à l’appui, le racisme systémique inhérent aux lois électorales de l’État, lesquelles désavantagent manifestement les Noirs dans l’exercice de leur droit de vote. Lesdits profs ne bénéficient pas, de clamer De Santis, de… la liberté d’expression, autant académique soit-elle. De toute beauté. Comme l’explique à propos The Guardian: «L’idée est simple: si les jeunes ne sont pas confrontés au concept de racisme institutionnel – et que le privilège blanc subsiste – nul doute qu’ils ne le remettront pas en question une fois devenus électeurs[1].»
Malgré la décision d’un juge de la Floride suspendant pour l’instant la Loi, ses effets se font déjà sentir: la plus grande université de l’État a retiré ipso facto tous les énoncés antiracistes de ses sites Web, et plusieurs profs ont annulé leurs cours portant sur les théories de la race, de crainte de contrevenir au «Stop-Woke Act» et son libellé flou et arbitraire. Il n’y a pas de pire censure que l’autocensure, non?
Une dernière pour la route? Celle-ci: non satisfait de ce qui précède, De Santis déclare maintenant la guerre à Walt Disney. La faute de Mickey, Donald Duck et autres sympathiques personnages? Être trop wokes. Au point où l’honorable gouverneur, suspendant les privilèges étatiques de la multinationale, songe aujourd’hui à construire aux côtés du site fantastique… une prison. Rien de surprenant, de ce fait, d’apprendre que des manifs anti-Goofy, arborant des drapeaux nazis, ont sporadiquement lieu aux portes des châteaux de ti-bonhommes fictifs.
À quelle heure, déjà, la fin de la civilisation?