CHRONIQUE – Des effluves de fumée gambadent dans les rues de Montréal, chevauchent ses incontournables cônes orange, reluquent les piaules aux fenêtres ouvertes ou entrebâillées… Même au cœur de la métropole, la gorge pique un brin, et idem pour les yeux. Le fond de son ciel se veut sinon ocre, sinon orangé. Des airs, pour qui l’anticipe, de fin du monde. C’est le cas, manifestement, d’André.
Écolucide, la réalité l’habite, le transperce depuis une mèche. Reste que l’amplitude des feux actuels l’ébranle, lui aussi. Parce qu’assister, impuissant, à la matérialisation d’une hypothèse, aussi fondée soit-elle, cogne dur.
Il me texte:
– Cri…, ça sent le feu jusqu’à Rosemont. Je ne me sens pas bien.
– Ça fait longtemps qu’on le sait. C’est fini. Question de temps.
– Oui, mais c’est la première que je sens. Que j’en vis l’anxiété.
– Je comprends. Ça ne va pas être beau.
– Dire que ce sera ça, le futur.
Les spécialistes sont d’accord avec André. Dans une entrevue accordée à l’excellent Alexandre Shields, du Devoir, le professeur Christian Messier explique: «Les feux vont commencer à se produire dans des forêts où il n’y a pas d’historique de feux. Les forêts susceptibles de brûler le seront davantage et les feux vont revenir trop rapidement pour permettre aux forêts de se régénérer. On risque de se retrouver avec davantage d’effondrements d’écosystèmes et une hausse des émissions de CO2[1].»
Le titre du papier de Shields? «Le Québec brûlera plus que jamais en raison de la crise climatique».
Circulez, y’a rien à voir, circulez…
Au plus fort de la crise, l’ironie brûlait d’ailleurs au même rythme que nos forêts. Le ciel, évocateur et limpide dans son message: la panique sera passagère, ponctuelle. Demain, sombres crétins, vous serez de retour dans vos réflexes. Ceux du confort de l’indifférence.
La pierre angulaire, en fait, de l’écolo-désastre actuel. Pourquoi aucun parti politique au pouvoir ou s’approchant de celui-ci refuse tout programme sérieux, côté environnement? Parce qu’on s’en fiche. Voilà tout.
D’aucuns nieront ici le postulat du je-m’en-foutisme, plaidant leur adhésion au BIXI ou au compost.
Mais quand bien même on s’y mettrait tous demain matin, peine perdue. Parce que tant que les multinationales, responsables du quasi-trois quarts des émissions de gaz à effet de serre, ne seront pas assujetties à des normes drôlement plus restrictives, on perd notre temps.
– Bah, j’ai quand même voté pour Steven Guilbeault, de se «vanter» plusieurs.
Mais il a fait quoi, depuis sa nomination à l’Environnement, Guilbeault? Interdiction des pailles en plastique. Ou encore, des vidéos où on le voit nettoyant ses ustensiles, habitude, confesse-t-il, prise chez Équiterre. Au diapason de son gouvernement-images, bref.
Parce que pendant que le ministre fait le beau, on oublie…
- l’approbation de Baie du Nord, mégaprojet pétrolier venant saccager à lui seul les rares efforts canadiens dans la lutte au GES;
- l’octroi de dizaines de permis ouvrant la porte aux forages pétroliers à même les refuges marins, créés à des fins de protection essentielles de la biodiversité;
- le fait que jamais, dans l’histoire récente, l’industrie pétrolière canadienne n’a autant été subventionnée par un gouvernement, soit celui de Trudeau;
- que si tout citoyen émettait autant de GES qu’un Canadien, 4,4 planètes seraient nécessaires à la survie humaine;
- que le Canada, per capita, se retrouve au 4e rang mondial en termes de cochonnage de planète, bien devant la Chine, l’Inde, les États-Unis et autres pays du G7[2].
Et pendant que nos obsédés de l’immigration nous parlent aux dix minutes des dangers de celle-ci pour la nation québécoise, que le plan fédéral de l’Initiative du siècle viendra achever le fait français, d’autres chiffres s’invitent dans l’espace public, sans résonance aucune: plus de deux milliards d’humains suffoqueront ou crèveront de chaleur extrême en 2100. Voilà qui devrait inquiéter davantage.
Mais bon, en bref, on s’en fout. La preuve? Que les feux de l’urgence, ceux qui alimentaient la discussion de la semaine dernière, sont éteints.
Déjà.
[1] «Le Québec brûlera de plus en plus en raison de la crise climatique»
[2] «Pays les plus pollueurs au monde: classement valable en 2023»