Société

La peur des réactionnaires

CHRONIQUE – Une amie chroniqueuse me dit, un jour de lunch heureux: 

– Tu sais Fred, les réactionnaires, au final, fondent leur idéologie sur une chose: la peur. 

– Faire peur aux bonnes gens, tu veux dire? 

– Oui, mais non. Plutôt qu’ils transposent leurs propres peurs dans leur argumentaire. Prends Bock-Côté: je suis persuadée qu’au fond de lui, Mathieu a peur. Peur du changement, peur de disparaître, peur de perdre ses privilèges. Ce n’est pas pour rien qu’il panique avec chaque anecdote insignifiante.

– Il ne serait pas seul, cela dit.

– Bien sûr que non, mais penses-y: souvent, ces gens n’ont pas voyagé ou si peu, se tiennent «entre eux», craignent ce qu’ils ne connaissent pas. Pas pour rien que le terme «xénophobie», entre autres choses, existe: la peur de l’étranger. Tu sais, quand j’étais petite, un élève de race noire est un jour débarqué dans notre classe. C’était le seul. J’étais craintive, au début, comme c’était le premier Noir que je voyais de ma vie.

– Et?

– Le temps de lui parler, et pouf, nous étions amis.

– Évidemment.

– Or, c’est ce que j’essaie de te dire: les réactionnaires, avant de tenter de faire peur, ont peur eux-mêmes. Ce sont des enfants, au fond, craignant l’étranger. Comme moi à 7 ans. 

Ceci expliquerait donc, me disais-je, le narratif de nos meneurs de claques traditionnels. Comme l’écrivait Spinoza dans ses lettres à Boxel: «le désir qu’éprouvent les hommes à raconter les choses non comme elles sont, mais comme ils voudraient qu’elles fussent, est particulièrement reconnaissable dans les récits de fantômes et de spectres». Un peu ça, quand même.

Cet échange m’est revenu en tête récemment, alors que je m’interrogeais sur le dénominateur commun sur lequel repose une partie du débat public actuel. Particulièrement celui afférent à la guerre culturelle en cours, où chaque distorsion aux acquis – mêmes insignifiants – se retrouve manu militari au banc des accusés. 

Pour le philosophe Pierre-Jean Dessertine: «Un autre caractère de l’attitude réactionnaire qui mérite d’être souligné est son évidence naturelle […] Elle consiste à identifier l’agent qui a détruit la situation antérieure considérée comme plus heureuse et à poser l’exigence collective de le neutraliser.» 

Et qui constitue cet agent perturbateur qui se mérite les opprobres de la vindicte réactionnaire? On peut penser, dans un Québec récent, à la femme voilée, celle-ci ayant été depuis remplacée par le «Woke». 

Sans lui pardonner toutes les dérives – notamment celles de censure -, reste qu’on parle essentiellement ici d’un homme de paille un peu fourre-tout, aux allures et contours souvent abscons. 

Il serait, entre autres choses et simultanément, personnifié par:

Bref, un peu large et confus. Or, le tout devient encore davantage comique lorsqu’on y ajoute une dimension fantastique. On s’opposera, par exemple:

– Du fait que Monsieur Patate ait été émasculé, perdant au passage sa bizoune en plastique;

– Que le fils de Superman soit bisexuel;

– Que quelques chocolats M&M soient lesbiennes;

– Que la petite sirène soit noire. 

Dixit Dessertine: «L’évidence naturelle des thèses réactionnaires est celle d’une pensée régressant sur des positions infantiles. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est investie aussi fortement: le monde de l’enfance est le monde de l’innocence, c’est un monde stable, parce que prodigué par les soins des adultes, c’est un monde où les hommes n’apparaissent pas encore livrés au torrent tumultueux de l’histoire et où l’enfant ne se sait pas encore mortel.» 

Et comme mot de la fin: «Retrouver ce monde sans histoire de l’innocence enfantine ne serait-il pas finalement le but caché du réactionnaire?»

On se le demande.

Twitter de Frédéric Bérard

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