CHRONIQUE – Commençons par le début: oui, le terme «guignoleries» existe bel et bien. Selon le dictionnaire de langue française, il décrit un «événement qui s’apparente à une scène de guignol». Dans ses correspondances de 1904 avec Gide, le poète Jammes réfère à une «œuvre immensément joyeuse et gaie, une guignolerie très amusante».
Pas certain, à voir la face de Charles ce week-end, qu’il s’amusait à outrance. Reste que le spectacle de son couronnement, lui, rappelait le temps des bouffons de Falardeau, version outre-Atlantique.
Reste que le confort de l’habitude constitue un moule difficilement cassable. Et à force d’y demeurer, on devient aisément un peu tarte. Collectivement, du moins. Parce que soyons honnête, l’humain se complaît dans des trucs absurdes ou injustes tant qu’il en a coutume. La référence politico-constitutionnelle du Canada-Québec à la monarchie britannique en fait partie.
Il fallut, rappelons-nous, le coup d’éclat des trois mousquetaires péquistes pour s’exposer à l’évidence: un serment au Roi, sérieux? Le représentant d’une Couronne ayant déporté les Acadiens? Pulvérisé trop d’Autochtones? Qui s’est facilement accommodée du rapport Durham visant l’assimilation des francos, jugés sans histoire? Pendu une douzaine de patriotes du Bas-Canada et une vingtaine du Haut, lesquels aspiraient à davantage de démocratie, notamment par l’entremise du gouvernement responsable? Qui a refusé, préalablement aux révoltes, les 92 résolutions au même effet?
D’aucuns répliqueront que oui, mais bon, c’est du passé, tout ça. Que le Canada est officiellement indépendant depuis le rapatriement de 1982. Que le pouvoir réel du monarque a été remplacé, depuis belle lurette et merci aux conventions constitutionnelles, par celui du premier ministre.
Sauf qu’une Constitution, n’en déplaise, opère également dans la sphère du symbole, de l’identité, de l’appartenance. L’importance de s’y reconnaître, de s’y retrouver. Or, si l’on peut respecter les Britanniques pour leurs traditions ou dévotions monarchiques, reste que celles-ci, par définition, sont pratiquement intransférables ici même, particulièrement au Québec.
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Un peu partout dans le Commonwealth, on assiste présentement à une remise en question du cordon ombilical. Les Barbades ont déjà fichu le camp. D’autres régimes antillais, comme Antigua, les Bahamas, le Belize, la Jamaïque et la Grenade, envisagent également le scénario.
La Nouvelle-Zélande, forte d’un nouveau premier ministre affiché publiquement républicain, se gratte elle aussi le coco quant à un départ éventuel.
L’Australie, qui a refusé en 1999 de rompre le lien monarchique par une courte majorité référendaire (54%), vient tout juste de refuser de poser la face de Charles sur son billet de 5 balles, lui préférant un symbole autochtone.
En bref, s’il ne se bouge pas le popotin, le Canada pourrait être l’un des derniers à demeurer dans la flotte de Sa Majesté. Pourtant, son opinion populaire, à l’instar de celle des régimes susmentionnés, semble elle aussi réclamer un nouveau départ.
Selon un tout récent Angus Reid, seulement 27% ont répondu OUI à la question suivante: «Est-ce que le Canada devrait demeurer une monarchie constitutionnelle au cours des prochaines générations?» Après répartition du 21% d’indécis, ce qui porte la majorité du NON à plus des deux tiers de l’électorat, on comprend ainsi qu’une manoeuvre de détachement pourrait, tôt ou tard, se manifester.
Reste, bien entendu, la faisabilité technique. Dixit la Loi constitutionnelle de 1982, laquelle prévoit les formules d’amendement applicables, l’ensemble des parlements provinciaux et le fédéral devront approuver la résiliation du lien monarchique avant que ce dernier puisse se réaliser.
Plus facile à dire qu’à faire, il va sans dire, surtout en considérant les deux niveaux de complexité suivants: 1) que la réouverture de la Constitution obligera fort probablement la discussion sur d’autres termes litigieux, où chaque province fera valoir sa «liste d’épicerie» de revendications respectives; 2) que si l’idée de se débarrasser de la monarchie se veut sympa, reste à déterminer le régime substitut.
Trop ardu? Irréaliste? Perte de temps et d’énergie?
Tout dépendant de nos aspirations, j’imagine. Et comme disait René Char: l’essentiel est toujours menacé par l’insignifiant.