CHRONIQUE – Ce n’est point une surprise, ni une grande révélation, que de constater l’effritement graduel – mais vif – de l’État de droit. La tendance, constatée depuis le 11 septembre et galvanisée depuis par les médias sociaux, semble subrepticement s’incruster dans les mœurs politiques, voire débat public, de démocraties jusqu’alors considérées comme blindées.
Par preuve, le plus récent rapport de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), basé à Stockholm, démontrant que près de la moitié – soit 48 – des régimes démocratiques du monde sont actuellement en déclin.
La justesse de ces conclusions est d’ailleurs confirmée par le célèbre Democracy Index, lequel précise qu’à peine 8,4% de la population mondiale vit présentement dans une démocratie considérée comme solide.
On parle en fait d’un sommet atteint, façon de parler, au cours des cinq dernières années. Effet Trump? Bien entendu. Dans la même veine, et comme corollaire de ce qui précède, les appuis à l’autocratisme sont en hausse constante. Une autre enquête, également citée dans le rapport susmentionné, témoigne que le nombre de citoyens appuyant «un leader fort qui ne s’embarrasse pas d’un Parlement et d’élections» atteint maintenant les… 52%. Plus de la moitié, donc, en faveur d’une forme ou l’autre de dictature. De toute beauté.
Pas plus tard que la semaine dernière, d’ailleurs, l’ineffable Donald en appelait à «renverser la Constitution américaine», histoire de lui redonner manu militari – c’est le cas de le dire – le pouvoir aux suites de l’élection «volée» de 2020. Le même ex-président qui, faut-il le rappeler, aura lancé une attaque tous azimuts envers le Capitole, symbole par excellence de la démocratie made in USA. Quelqu’un peut expliquer comment un bougre pareil soit encore politiquement en vie? J’ose une hypothèse: parce que le cancer est (maintenant) généralisé et le système, gangrené jusqu’à la moelle.
En fait, d’aucuns auront remarqué que lien je tissais, d’entrée de jeu, entre État de droit et démocratie. Parce que si les deux concepts demeurent distincts, ils demeurent, bien entendu, symbiotiquement soudés. Peut-on nommer, par exemple, une seule démocratie rigoureuse non fondée sur un État de droit l’étant tout autant? Bonne chance.
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Le glissement vers l’autocratisme entraîne, dans sa chute, quelques régimes d’ordinaire jugés fiables. Le Canada, notamment. Après avoir élu un gouvernement dit «complotiste», l’Alberta allait récemment pousser le bouchon de l’indécence encore davantage, cette fois en adoptant la Loi sur la souveraineté de l’Alberta.
En gros, son gouvernement obtient, par l’entremise de celle-ci, le moyen d’ignorer toute loi ou tout règlement fédéral qu’il considère comme «inconstitutionnel ou dangereux», donc contraire aux intérêts de la province.
Mieux encore, il pourra «diriger» ses municipalités, écoles, hôpitaux et autres agences provinciales quant au respect, ou non, des normes fédérales.
Un gouvernement, donc, qui joue au juge.
Qui se fiche du partage des compétences.
De la Constitution.
Des règles du jeu, au final.
Cute. Vraiment.
Dans sa mouture initiale, la Loi sur la souveraineté prévoyait que l’exécutif aurait le pouvoir d’ignorer les décisions judiciaires, et d’amender unilatéralement les lois de la province, sans passer par son parlement. Re-cute.
Quid les chances d’une loi de passer le test des tribunaux? Entre 0 et -10000. Reste, cela dit, que le mal sera fait. Car quelle sera la réaction du gouvernement déchu en Cour? La faute du «gouvernement des juges», de la «tyrannie des minorités», de la «Charte à Trudeau» et autres babioles narratives délétères à la vitalité de l’État de droit.
Un discours qui, soyons honnête, résonne aussi au Québec depuis la dernière décennie. Maints chroniqueurs ont d’ailleurs félicité l’initiative albertaine avec un enthousiasme certain. Idem du côté du Parti québécois, lequel va même jusqu’à suggérer à François Legault de s’en inspirer.
Sans comparer l’un et l’autre, c’est-à-dire sans mettre chaque boutade ou posture populiste dans le même panier (ps: non, je n’accuse pas le PQ de trumpisme généralisé), reste qu’avec plus de la moitié de la population en faveur d’un régime autoritaire, disons qu’il serait avisé, pour dire le moins, de ne pas en rajouter à une coupe déjà (trop) pleine.
Le mot de la fin au sage Camus: faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles.