Lisée, Kaboul et Saint-Jérôme
CHRONIQUE – Jamais rébarbatif à l’idée d’une acide controverse, Jean-François Lisée balanstiquait les HEC en bas du bus pour avoir osé – doux Jésus – faire d’une étudiante voilée la vedette de sa pub destinée au… Maghreb.
Je n’entretiens pas d’animosité particulière – ni d’animosité tout court – envers l’ex-chef du PQ. Quelques rencontres professionnelles, où l’on siégeait à des jurys de concours universitaires, m’ont confirmé le côté sympa du bougre. Idem pour des échanges plus persos. Un gars brillant et cultivé, indubitablement, doublé d’un volet cool parfois imperceptible dans les médias.
Sauf que Lisée, comme maints politiciens et chroniqueurs, ne peut s’interdire la tentation de la démagogie, de la facilité. Celle qui foutra le feu aux poudres d’un tissu social déjà amoché. Celle qui assurera la reprise d’un vieux film poche, mais au succès populaire. Celle qui, manichéenne, ramènera sur scène la fausse dichotomie du NOUS et du EUX. Celle qui, malgré ses intentions autoproclamées de lutte contre le «patriarcat religieux», stigmatisera encore davantage une minorité déjà vulnérable.
Dans La vérité si je mens 2, Dov balance, en faisant référence à des magasins à grande surface: «Mais ce sont des scorpions, ils ne peuvent s’empêcher de piquer!»
Ainsi va JF Lisée: instrumentaliser, à la moindre occasion, un enjeu méritant au contraire sensibilité, nuance et humanisme.
Drôle qu’avant que le débat sur le voile ne soit élevé au rang d’obsession médiatico-politique, le chroniqueur écrivait: «Le voile? Franchement, je m’y suis habitué et ce qu’on met sur sa tête ne devrait pas soulever l’ire nationale.»
Sa veste retournée une fois la tentation électoraliste à l’horizon, Lisée devait ensuite galvaniser le chant des sirènes populistes jusqu’à un délirant paroxysme.
Lui qui, parti bon dernier lors du départ de la course à la chefferie du PQ, remporta cette dernière en associant fallacieusement Alexandre Cloutier à Adil Charkaoui, tout en accusant son rival d’avoir souhaité une «bonne fin de ramadan à [ses] amis musulmans». Le Québec est laïque!, de tonner Lisée, lequel n’aurait jamais souhaité joyeux Noël à quiconque.
Parmi les autres perles figure celle où il affirme au Devoir, sans rire, qu’il faille péremptoirement interdire certains signes religieux de l’espace public. «En Afrique, les AK47 sous les burqas, c’est avéré là», disait-il, mettant au défi les journalistes incrédules de vérifier ses dires. Ceux-ci devaient conclure que non, justement, aucun cas recensé, ici comme ailleurs, tel que corroboré par deux corps policiers.
La meilleure comme dessert: en feu lors d’une activité partisane péquiste, le politicien-scorpion hurle au micro, à répétition: «Y a des hidjabs partout… ça suffit!», enjoignant à la foule de se joindre à lui. À rappeler les périodes les moins glorieuses du 20e siècle.
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En bref, Lisée est trop polyglotte, intelligent et cultivé pour (sincèrement) croire que le port du voile revêt au Québec la même signification que dans quelques régions du Moyen-Orient.
Pour méconnaître les études empiriques du sociologue Paul Eid, de l’UQAM, lesquelles témoignent du caractère volontaire du port en question chez la femme du Québec.
Pour ignorer que les illustrations, tristes et délétères, issues d’autres coins du globe n’ont aucune chance de résonance, ici.
Que si la conjointe de Raif Badawi – et Badawi lui-même – méritent respect et empathie, reste que l’analogie entre leur situation et le voile est nulle, absurde et non avenue.
Que la «crise» des accommodements raisonnables a été inventée de toutes pièces pour un empire médiatique, comme le confirme le rapport Bouchard-Taylor.
Que loin d’être attachée à un calorifère par un barbu, la fonctionnaire l’arborant est au contraire émancipée, participant à l’essor sociétal, payant ses impôts, parlant français, et allant même jusqu’à vacciner un premier ministre.
Qu’interdire à une femme de porter ce qui lui plaît, conformément à ses convictions religieuses, participe ironiquement à la même logique patriarcale.
Que l’islamisation grimpante de Saint-Jérôme relève d’un mythe, abject, entretenu par la confrérie des scorpions et des faibles d’esprit.
Que la femme musulmane, à l’instar du débat public, mérite (beaucoup) mieux.