Il nous reste quelques (pas pire) années
Fait beau, fait chaud. Climat idéal pour décrocher, savourer un peu, je sais.
Sauf que… j’en suis incapable. Confidence: j’ai la chienne. Solide.
Rien de nouveau aux habitué.es de cette chronique, on me dira.
Mais c’est différent, maintenant, je vous jure. Une (grosse) coche de plus, côté angoisse.
Parce que si l’on savait les USA à risque d’une débandade prochaine – l’attaque du Capitole par un ex-président, l’impunité de celui-ci et son retour imminent aidant –, reste que j’avais sous-estimé l’impact des ravages idéologiques menés par sa Cour suprême.
Si le renversement de Roe contre Wade – merci au «paquetage» trumpiste du tribunal – était facilement prévisible, les attaques judiciaires tous azimuts sur d’autres fondements et acquis libéraux laissent pantois. Une charge frontale, à vrai dire, à l’encontre de l’équité, éthique et gros bon sens. Du contrat social, même.
D’abord, invalider la loi de l’État de New York obligeant quiconque souhaitant arborer son gun en public de faire la preuve d’une «cause juste», justifiant sa nécessité. Pas besoin de la tête à Papineau afin de comprendre, voire craindre, la fin de toutes les autres lois du genre à travers le pays, champion des tueries de masse.
Deuxièmement, tronçonner la capacité de l’Agence fédérale (et indépendante) de protection de l’environnement de réglementer les émissions des centrales à charbon, en remettant ce pouvoir entre les seules mains du Congrès américain, pourtant impotent et dysfonctionnel, particulièrement en ces matières. Selon les trois juges libéraux dissidents dans cette décision, on en vient ainsi à retirer à l’Agence «le pouvoir de répondre au défi environnemental le plus pressant de notre époque». Des répercussions imminentes sur le reste de la planète, d’ailleurs, les USA étant au second rang des plus grands émetteurs annuels de gaz à effet de serre.
Ensuite, les conséquences délétères du renversement de Roe contre Wade, lesquelles n’ont pas tardé à se manifester. Au moment d’écrire ces lignes, près d’une vingtaine d’États auront déjà interdit ou réprimé le droit à l’avortement, alors qu’une dizaine d’autres seraient en voie de le faire, ou tergiversent. Du joli, ceci allant jusqu’à mener aux pires atrocités morales, par exemple cette jeune fille de 10 ans de l’Ohio, violée, qui se fait refuser l’avortement au motif qu’elle devrait considérer sa grossesse comme une «opportunité». How low can you go? Reste aussi, pour quiconque ayant lu la décision dans son intégralité, les messages (pas trop) subliminaux de la Cour affirmant une volonté prochaine de restreindre les droits de la communauté LBGTQ, les mariages entre conjoints de même sexe et le droit à la… contraception. Des talibans en toge, bref.
La cour est pleine? Pas encore. Il y a pire, en fait. Dans une audience à être entendue en octobre prochain, le plus haut tribunal américain aura à statuer sur un autre fantasme trumpiste, soit celui de permettre aux législatures de renverser le vote populaire, dans chaque État, et de lui substituer des grands électeurs… de vous savez quel parti. Farfelu? Certes. Mais selon l’analyste Thom Hartmann, la chose est non seulement possible, mais probable, merci à une twist obscure prévue à même la Constitution américaine, i. e. son article II, section 1.
Et pourquoi ceci n’a pas été fait avant? Parce que ceci requiert, on s’entend, des esprits drôlement dictatoriaux. Qu’à cela ne tienne. Dixit Robert Barnes, du Washington Post: «The Supreme Court on Thursday said it will consider what would be a radical change in the way federal elections are conducted, giving state legislatures sole authority to set the rules for contests even if their actions violated state constitutions and resulted in extreme partisan gerrymandering for congressional seats.»
Une dictature en devenir, donc, ironiquement facilitée à la fois par les milices armées et les… tribunaux. Fallait y penser.
Certains diront que «oui, OK, mais on parle des États-Unis, pas d’ici». D’accord. Mais deux choses:
1) Vous avez vu aller Poilievre, alias le Trump du Nord, au dernier «convoi de la liberté»?
2) Vous croyez qu’il serait possible pour le Canada de conserver son régime actuel avec, au Sud, la débandade américaine prochaine?
Selon Thomas Homer-Dixon, directeur exécutif du Cascade Institute de l’Université Royal Roads: «Les États-Unis sont à un pouce de la guerre civile, et de s’effondrer. Le Canada peut-il s’y préparer?»
Réponse? Pas vraiment. Parce que si les États-Unis des dernières décennies étaient bourrés de défauts, reste qu’un minimum prévalait, côté respect des institutions et État de droit, garantissant un socle pour le reste de l’Occident. Plus maintenant. Ou presque.
Les mots de Camus, en terminant: «Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles.»
On aura été avertis.