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La prévention pour réduire la violence armée

Armes réglementation
Photo: iStock/Artfully79

Alors que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) mène plusieurs opérations d’envergure dans la métropole pour contrer la tendance à la hausse des crimes contre la personne et des violences armées, Irvin Waller, professeur émérite de Criminologie de l’Université d’Ottawa, évalue que la prévention serait le moyen le plus efficace pour y arriver.


ANALYSE – Au cours de la dernière décennie, le recours aux armes de poing dans les crimes violents en milieu urbain a augmenté dans les villes canadiennes. En effet, les armes de poing sont désormais en cause dans un homicide sur six au Canada. En 2020, plus de 6 crimes violents sur 10 (63 %) commis à l’aide d’une arme à feu dans les régions urbaines mettaient en cause une arme de poing. Le nombre de fusillades et l’utilisation illégale d’armes de poing ont triplé en seulement cinq ans. Le taux d’homicides au Canada est toujours deux fois celui de l’Angleterre et de l’Allemagne.

Les grandes villes sont particulièrement touchées. Mardi, le rapport d’activités 2021 du Service de police de la Ville de Montréal révélait que le nombre d’événements violents recensés dans la métropole poursuit sa tendance à la hausse, avec une augmentation de 17,3 % des crimes contre la personne dans les cinq dernières années.

Devant cette flambée de violence armée, le gouvernement Trudeau a déposé le 27 avril le projet de loi C-21 visant à interdire, à compter de l’automne, l’achat, la vente, l’importation et le transfert d’armes de poing.

Déjà, la tragique fusillade de Danforth, à Toronto, survenue en juillet 2018, et au cours de laquelle un tireur de 29 ans a utilisé une arme de poing volée (tuant deux jeunes passantes de manière aléatoire, avant de retourner son arme contre lui), avait fait réagir le premier ministre Justin Trudeau. Il avait alors déclaré que le gouvernement «examine les choses ayant été faites ailleurs dans le monde et dans d’autres juridictions, qu’il étudie les meilleures preuves, les meilleures données, afin de prendre les bonnes décisions pour assurer que le futur des citoyens et des communautés soit sécuritaire».

Cela a-t-il été fait? En tant qu’experts en prévention de la criminalité et en sécurité communautaire, nous étudions et partageons les meilleures preuves et les meilleures données, ainsi que les solutions fondées sur les données probantes. En 2019, j’ai publié «Science and Secrets of Ending Violent Crime», un ouvrage qui rassemble les données probantes de partout à travers le monde et qui documente les approches éprouvées permettant de mettre fin à la criminalité violente, y compris la violence par armes de poing.

Les mesures réactives demeurent inefficaces

Le système pénal canadien, largement axé sur des mesures policières et carcérales, coûte plus de 20 milliards de dollars annuellement. Pourtant, l’utilisation accrue d’approches punitives n’augmente pas son efficacité.

Il suffit de regarder au sud de la frontière pour constater que les états américains avec les taux d’incarcération les plus élevés enregistrent un plus grand nombre d’incidents de violence que les autres, et non l’inverse. Si les mesures punitives étaient efficaces, les villes américaines seraient les plus sécuritaires du monde. C’est pourtant loin d’être le cas.

Le projet de loi C-21 s’inscrit dans cette tendance. Il est peu susceptible de contrer l’usage illégal d’armes ou de sauver des vies. En effet, la majorité des crimes commis avec des armes de poing dans les zones urbaines du Canada le sont avec des armes de contrebande en provenance des États-Unis. Un gel national sur la vente, l’achat et le transfert d’armes de poing au Canada ne freinerait donc pas cette tendance.

La loi C-21 prévoit également des peines plus sévères pour le trafic d’armes et un renforcement des contrôles aux frontières. Ces mêmes mesures ont été mises en place en lien avec les drogues et les statistiques démontrent que les contrôles frontaliers et les lourdes peines freinent peu le trafic de drogues illégales. Ainsi, il est peu probable qu’elles soient plus efficaces pour le trafic d’armes de poing.

Miser sur la prévention en réduisant les facteurs de risque

Plus de 50 ans d’études scientifiques en criminologie et de rapports gouvernementaux montrent que la prévention en amont est le moyen le plus efficace et le plus rentable de réduire la violence.

La prévention, qui implique de s’attaquer aux facteurs de risque de la violence, permet d’obtenir une réduction de 50 % des taux de criminalité violente en quelques années. À titre d’exemple, les taux d’homicides dans la ville de Glasgow, en Écosse, ont diminué de moitié entre 2006/2007 et 2016/2017. La ville, très violente, a établi en 2005 une unité spéciale (Violence Reduction Unit). L’objectif est de réduire la violence, mais avec une approche orientée vers la prévention.

En adoptant une approche préventive, la ville de Bogotá, en Colombie, a également diminué de 82 % son taux d’homicides en 25 ans.

La prévention peut prendre la forme d’initiatives de sensibilisation auprès des jeunes, de mentorat et de soutien aux familles, ainsi que de programmes scolaires qui abordent les attitudes et les croyances face à la violence, tels que les programmes Quatrième R et SNAP.

La prévention en amont peut également inclure des actions basées sur l’analyse épidémiologique des victimes de violence armée qui reçoivent des soins médicaux d’urgence. Ces mesures reposent sur le partage stratégique d’informations recueillies dans les salles d’urgence, comme le lieu, l’heure, la date et le mécanisme de blessure, afin de mieux comprendre les facteurs de risque et adapter les mesures préventives en conséquence.

Nous disposons de lignes directrices claires sur la façon de mettre en œuvre les approches de prévention. L’Ontario exige déjà des municipalités qu’elles élaborent des plans de sécurité communautaire. Cependant, ceux-ci nécessitent un financement durable pour les initiatives de prévention ainsi que la formation des professionnels, des outils de sécurité communautaire et le partage des connaissances en lien avec les approches éprouvées.

Prévenir plutôt que punir

Le gouvernement fédéral peut être un acteur clé du changement vers des politiques de prévention intelligentes. Malheureusement, les politiques actuelles sont trop peu nombreuses et pas assez intégrées.

Souvent, il s’agit de projets ponctuels qui ne durent que quelques années et qui ne font pas un usage adéquat des lignes directrices et des données probantes. C’est le cas du programme Ceasefire qui a engendré des réductions importantes des fusillades à Boston, mais qui a été discontinué quelques années plus tard, causant une remontée de la violence armée.

Afin de faciliter l’adoption d’un virage de réduction de la violence, dans les années 1990, deux comités parlementaires ont recommandé de diriger l’équivalent de 5 % des dépenses fédérales réservées à la justice pénale vers des mesures préventives. Il est également impératif de légiférer pour créer un centre national permanent de prévention de la violence dirigé par un haut fonctionnaire pour travailler étroitement avec tous les ordres de gouvernement, ainsi qu’avec les communautés autochtones.

Dans sa proposition actuelle, le projet C-21 implique des dépenses de 50 millions de dollars par année pour des mesures qui ne sont pas fondées sur les données probantes. On ne sait pas encore quels seront les coûts reliés aux mesures de répression, mais il est clair que ces dépenses n’auront que peu d’effet pour sauver des vies.

Ainsi, compte tenu de l’étendue des connaissances disponibles en matière de prévention, investir l’équivalent de 5 % des dépenses fédérales vers des mesures de prévention éprouvées est plus que justifié. Donc, il faut diriger au moins 400 millions de dollars de plus par année dans l’avenir des jeunes et ainsi réduire de façon significative les pertes de vie et les tragédies causées par la violence, surtout par armes à feu.

Irvin Waller, Professeur Emérite de Criminologie, de l’Université d’Ottawa

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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