De plus en plus de créateur.trice.s de contenu transgenre donnent une voix à la transidentité sur les réseaux sociaux. Mais jongler avec le manque de représentation et la pression d’être parfait.e est loin d’être évident. Portrait de ces créateur.trice.s engagé.e.s et inspirant.e.s.
C’est en grande partie grâce à la youtubeuse canadienne Gigi Gorgeous que Gabrielle Marion a pu faire son coming out public. Sa vidéo chargée en émotions intitulée «Je suis trans» arrivait en 2016. À l’époque, Khate Lessard n’avait pas encore participé à la téléréalité Occupation Double, le vocabulaire LGBTQ2S+ était encore sous-utilisé et les sorties du placard, plus rares chez les célébrités.
Celle qui est active sur YouTube depuis 2011 se considère même comme l’une des pionnières québécoises en matière de contenu relatif à la transidentité sur internet.
«Sans un modèle comme Gigi, je ne pense pas que j’aurais pu mettre des mots sur comment je me sentais, confie-t-elle. Au Québec, il n’y avait absolument personne: aucune vidéo de personne transgenre, aucune explication sur le processus de transition.»
C’est notamment pour cette raison qu’elle décide de partager tous les détails de sa transition, étape par étape. Elle ne fait d’ailleurs l’impasse sur aucun sujet: elle parle autant de ses multiples opérations chirurgicales que de sa vie de couple et invite ses parents sur sa chaîne à plusieurs reprises.
Le défi de la représentation
Si de nouvelles figures publiques trans ont émergé ces dernières années, les influenceur.euse.s trans francophones sont encore peu nombreux.euses au Québec. Pas facile donc, pour les jeunes trans francophones de se sentir représenté.e.s.
Henri-June Pilote, créateur de contenu trans et ex-vendeur dans un sex shop a d’ailleurs fait ses débuts en anglais sur Instagram, avec ses critiques de jouets sexuels. C’est en prenant conscience du manque de représentation qu’il s’est finalement mis à s’exprimer en français.
Aujourd’hui, il donne des conseils sur le plaisir trans, vulgarisant l’utilisation des jouets sexuels pour les personnes en pleine transition sexuelle. Avec son podcast intitulé C’est quoi mon genre?, il aborde en plus diverses thématiques en lien avec l’identité de genre, de la santé mentale au coming out en passant par les relations sociales et sexuelles.
«Je suis un des seuls créateurs de contenu trans masculin au Québec qui parle de ma transition, souligne Henri-June. C’est une statistique un peu inquiétante.»
Si les retours de ses abonné.e.s et auditeur.trice.s le motivent, le poids d’être autant visible par rapport à sa transition est parfois lourd à porter. Et puis, il ne peut pas représenter les réalités de tout le monde, notamment pas celles des personnes trans racisées.
«On m’envoie beaucoup de messages positifs du genre “T’es la première personne trans que je vois”, “J’ai envoyé ton podcast à ma mère pour lui expliquer mon coming out”, raconte-t-il. Mais, je reçois aussi beaucoup de messages de gens qui ne vont pas bien.»
Des messages de détresse que la youtubeuse Gabrielle Marion reçoit elle aussi à l’occasion. Bien qu’elle adore échanger avec ses fans et comprenne leurs difficultés, elle n’a pas toujours de réponses à leur apporter.
«Mon message, c’est que la vie est tellement belle quand on peut être soi-même, mais je sais bien que c’est parfois très dur… Je fais mon possible, mais je ne peux pas remplacer un psychologue», résume-t-elle.
Image et stéréotypes
Exposé.e.s au public et donc aux critiques, les influenceur.euse.s doivent aussi faire face à la pression d’être parfait.e.s, autant dans leur apparence physique que dans leur attitude. Une injonction à la perfection qui peut être encore plus difficile à gérer pour une personne trans dont l’apparence physique n’a pas toujours correspondu au genre qui est le sien.
À cause de cette dysphorie de genre qu’elle a pu vivre, une personne trans peut avoir tendance à reproduire certains stéréotypes pour être mieux acceptée, selon Henri-June.
«Par exemple, en tant qu’homme trans, tu peux avoir tendance à reproduire certains comportements masculins – parfois toxiques – ou à adopter une certaine apparence, non pas parce que c’est ce que tu es, mais parce que tu veux paraître “comme un homme”», confie-t-il.
Une fois sa transition entamée, Gabrielle Marion a aussi dû composer avec les standards de beauté féminins pour «passer comme une femme dans la société».
«Être une personne transgenre, ça vient avec la dysphorie de genre, mais aussi une dysphorie physique [le fait de ne jamais être satisfait.e de son apparence], explique-t-elle. Même si je peux avoir mis 100 000 $ sur mon corps, il y a toujours quelque chose dans le miroir qui va faire que je ne suis pas 100% satisfaite. Il faut savoir gérer ça.»
Pas une étiquette
Enfin, même si les questions liées à leur transidentité est souvent au cœur de leur travail, les influenceur.euse.s et les personnalités trans aimeraient aussi être reconnu.e.s pour leur talent.
«Je pense que 2022 va être l’année où le monde va se rendre compte qu’on n’est pas juste trans, qu’on existe de manière pluridimensionnelle», espère l’actrice, autrice et porte-parole de l‘organisme Interligne Gabrielle Boulianne-Tremblay.
Un souhait que partage Gabrielle Marion qui, après avoir commenté chaque détail de sa transition pendant trois ans sur sa chaîne, a bien l’intention de mettre en valeur d’autres aspects de sa vie.
«Maintenant, j’essaie d’aller vers d’autres sujets le fun. Je ne suis pas juste une personnalité trans, je suis aussi une personne à part entière», clame-t-elle.