La pandémie à travers les yeux – et l’appareil-photo – des aînés
Il aura fallu une pandémie mondiale pour que les sociétés prennent conscience que les aînés sont négligés. Au Québec, si la décision de transférer des patients en CHSLD pour vider des lits d’hôpitaux semblait bonne sur papier, elle aura provoqué une catastrophe humaine sans précédent. Voici quelques conseils pour prendre soin des personnes âgées.
Par Julie Karmann, Université de Montréal et Olivier Ferlatte, Université de Montréal
ANALYSE – Partout sur la planète, la Covid-19 a frappé de plein fouet les plus vulnérables et au premier plan, les personnes âgées.
Le Québec n’a pas fait exception. Nos aînés ont fait face à une double peine : celle d’être un groupe à haut risque de complications en cas de contraction de la Covid (au Québec, 97,4 % des décès liés à la Covid-19 ont concerné les personnes de plus de 60 ans), en plus d’être une cohorte à risque d’isolement social.
À l’heure où le Québec complète sa distribution des secondes doses vaccinales, le pays retrouve un peu ses esprits et son souffle. C’est le moment de tirer les premières leçons de la gestion de cette pandémie. Comprendre comment les plus âgés d’entre nous ont survécu et se sont relevés de cette crise pourrait bien s’avérer payant face à d’autres confinements et d’éventuelles futures pandémies.
C’est là un des objectifs de la recherche « Confinés, ensemble ! ». Née au cœur de l’hiver 2020, cette recherche a été propulsée par notre volonté de comprendre comment les aînés vivaient cette crise au-delà des décès et des infections. Trois groupes étaient ciblés : les aînés vivant en résidence pour personnes âgées, ceux vivant seuls à domicile, ceux s’identifiant comme membre de la communauté LGBTQ.
Avec le soutien d’organismes communautaires et de campagnes de presse, nous avons recruté, de mai à septembre 2020, un total de 26 aînés âgés de 60 à 81 ans, issus de l’ensemble du territoire québécois. « Confinés, ensemble ! » est une recherche-action qui s’appuie sur le photovoix, une méthode qui met la photographie au centre du processus de recherche ; les participants étaient invités à illustrer leur expérience de la pandémie avec des photos de leur quotidien, qu’ils ont ensuite partagées dans des groupes de discussion en ligne.
En tant que chercheurs en santé publique, nos intérêts portent sur les expériences vécues de santé, les populations vulnérables, le milieu urbain et les approches de recherche artistiques. « Confinés, ensemble ! » est un projet au caractère inédit parce qu’il place la photographie au cœur de la recherche, couplée à des groupes de discussion, le tout entièrement en ligne.
Investir le moment présent
Avec la pandémie, les nerfs ont été mis à rude épreuve. Face au stress mental élevé, les aînés ont dû trouver des stratégies permettant de prendre de la distance avec la pandémie. Être pleinement conscient et présent dans l’instant était une stratégie largement adoptée dans ce sens.
Si toute occupation était utile pour combler un temps qui s’était allongé, certaines activités telles que la marche, la photographie, la méditation ou encore la tenue d’un journal intime aidaient particulièrement « à se rapprocher de soi » et ainsi à se détacher de la crise. La marche en particulier avait ce pouvoir de calmer l’esprit grâce à la connexion avec la nature qu’elle favorise. Le jardinage, qui « ramène à l’essentiel », apportait lui aussi du réconfort.
Parce qu’elle a rendu les temps incertains, la pandémie a aussi rendu difficiles les projets d’avenir. Qu’à cela ne tienne, s’ils ne pouvaient se réjouir du futur, les participants avaient décidé de doublement profiter du présent. Chaque instant était apprécié, honoré et investi pour ce qu’il avait à offrir, la possibilité d’être encore là. C’est ainsi que Paula, Montréalaise, plutôt habituée à une vie bien remplie, se répétait : « Paula, profite de la vie, y’a pas de temps à perdre, no time to loose ! »
Continuer de voyager
Se voir imposer des règles a été particulièrement éprouvant pour beaucoup de participants, en particulier pour ceux soumis aux mesures additionnelles de leur résidence.
Afin de regagner de la liberté, reconquérir un territoire plus large que celui de son unique domicile était une stratégie que plusieurs participants avaient adoptée. Ainsi, certains enfourchaient volontiers leur bicyclette pour s’évader tandis que d’autres continuaient de planifier des randonnées, mais cette fois, dans leur propre quartier.
« Pour ne pas aussi me sentir emprisonné, ben je vais à vélo. Cette semaine je suis allé jusqu’à la cité du Havre » exprimait Jacques, pour sa part privé de son autre maison, le club de sport.
Plusieurs participants ont continué de voyager, de rencontrer, de vivre de nouvelles expériences… à travers des livres ! Ces derniers étaient devenus de réelles échappatoires permettant de sortir de son petit environnement qui pouvait devenir étouffant.
« Veut, veut pas, quand t’acceptes d’embarquer dans un roman […] tu sors de toi. Tu sors de ton petit environnement qui des fois peut être très restreint et même très restrictif pour t’ouvrir à autre chose… », soulignait Marianne, pour qui la culture était aussi un lien social.
Être indulgent envers soi-même
La pandémie, par les nouvelles règles du jeu qu’elle a imposé aussi subitement, est sans précédent. Face à cette tempête, les aînés ont rapporté que l’indulgence envers soi-même était primordiale.
Cette bienveillance passait par le plaisir que l’on pouvait s’offrir. Qu’il s’agissait de la préparation ou la dégustation d’un repas, d’une soirée passée à visionner des séries ou la compagnie d’un verre de vin, il était important de se gâter.
« La vie continue et se renouvelle. Il faut l’alimenter, surtout pour moi en favorisant la présence des fantaisies, les petits bonheurs qu’on croise, les petits bonheurs qu’on se donne… » faisait remarquer Bruno, un amoureux de la nature et de la photographie.
Pour les aînés, l’indulgence envers soi-même passait aussi par l’acceptation de soi, de sa vulnérabilité, de ses moments de fragilité. S’accepter dans l’adversité, mais aussi se reconnaître des victoires, petites — nouvelles compétences informatiques, artistiques — ou grandes — s’adapter, transcender sa peur — c’était se reconnaître des forces et renforcer son estime de soi.
Ainsi, investir le moment présent, continuer à voyager et être indulgent avec soi-même sont quelques-uns des ingrédients des aînés pour reprendre un peu de contrôle sur la situation, mais aussi grandir avec elle. Car si nul ne peut encore prédire aujourd’hui si la pandémie sera un simple passage ou une réelle rupture entre un avant et un après, une chose est certaine, elle aura imposé à chacun de se réinventer pour s’adapter.
Toutes les photos du projet « Confinés, ensemble ! » sont disponibles à l’adresse : https://confinesensemble.ca/
Julie Karmann, PhD student, Université de Montréal and Olivier Ferlatte, Assistant professor, Université de Montréal