Contestée par Washington, la taxe Gafa votée par les députés français
Les députés français ont voté lundi en première lecture l’instauration d’une taxe sur les géants mondiaux du numérique, qui doit faire de la France un des pays pionniers en la matière, mais suscite l’opposition des États-Unis.
Les membres de l’Assemblée nationale présents ont approuvé par 55 voix contre 4 et 5 abstentions l’article du projet de loi instaurant cette «taxe Gafa» (acronyme pour Google, Amazon, Facebook et Apple).
Ce texte devra ensuite été voté dans son ensemble par la chambre basse du Parlement puis par le Sénat.
«Ce n’est pas l’unanimité, mais ça n’en est pas loin», a commenté le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, se félicitant que la France «ouvre une voie» et se disant «certain que beaucoup de pays suivront».
«C’est l’honneur de la France d’être en pointe sur ces sujets», de «donner le mouvement», avait-il lancé avant le vote devant les députés. C’est «une étape» vers une «fiscalité du XXIe siècle plus juste et plus efficace», avait ajouté le ministre.
La taxe Gafa à la française s’inspire d’un projet européen qui n’a pas abouti le mois dernier, en raison des réticences de quatre pays (Irlande, Suède, Danemark et Finlande).
Pour le ministre, qui souligne que d’autres États européens comme l’Autriche ont des projets similaires, elle servira de «levier» dans les négociations internationales. Il espère un accord d’ici à 2020 au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et assure qu’alors la France retirera «naturellement sa taxe nationale».
«Avec ce geste, la France ouvre la voie à emprunter», a commenté Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, sur la radio France Inter. «L’Europe n’est pas encore tombée d’accord. Pourtant, je pense qu’il est important que tous les États européens qui ressentent le besoin d’aller de l’avant le fassent et après, il faudra harmoniser cela à l’échelle au moins européenne, voire passer par l’OCDE», a-t-elle ajouté.
Mais Washington juge la taxe «extrêmement discriminatoire à l’égard des multinationales ayant leur siège aux États-Unis». Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a encore exhorté jeudi Paris à y renoncer, M. Le Maire répliquant que la France était «décidée» et «souveraine» en matière fiscale.
«Je crois qu’on doit aller de l’avant néanmoins», a répondu Mme Vestager. «L’idéal serait une solution à l’échelle mondiale, aucun doute là-dessus. Mais, si on veut obtenir des résultats dans un délai raisonnable, il faut que l’Europe prenne la tête de ce mouvement et aille de l’avant».
L’instauration de la taxe avait été annoncée par Emmanuel Macron en décembre en pleine crise des «gilets jaunes», ces Français qui protestent notamment contre la taxation insuffisante selon eux des riches contribuables. Elle doit contribuer à financer les 10 milliards d’euros de mesures d’urgence économiques et sociales qui avaient été concédées à ces contestataires.
Concrètement, la taxe doit concerner les activités numériques qui «créent de la valeur grâce aux internautes français».
Pour le ministre, «l’évaluation de la Commission européenne est sans appel : en moyenne, les grandes entreprises du numérique paient 14 points d’impôt de moins que les autres entreprises» en Europe (9% contre 23%).
La taxe doit concerner les entreprises qui font un chiffre d’affaires sur leurs activités numériques d’au moins 750 millions d’euros dans le monde et de plus de 25 millions d’euros en France. L’idée est de les imposer à hauteur de 3% du chiffre d’affaires réalisé en France sur les publicités en ligne, la vente à des tiers des données personnelles et l’«intermédiation» (mise en relation, par des plateformes, entre entreprises et clients).
Elle devrait s’appliquer à une trentaine de groupes incluant aussi Meetic, Airbnb ou encore la française Criteo et rapporter 400 millions d’euros en 2019, puis 650 millions en 2020-2022.
L’ONG Oxfam qualifie la taxe Gafa de «symbolique».
Près des deux tiers du chiffre d’affaires cumulé des cinq géants Facebook, Google, et surtout Apple, Amazon et Microsoft, aux activités majoritairement «hors numérique», ne seront pas couverts par la taxe, déplore l’organisation altermondialiste Attac.