Après huit années passées à se reconstruire une vie dans le quartier de Parc-Extension, à Montréal, un couple de septuagénaires d’origine indienne sera expulsé du Canada le 12 août prochain. Des sympathisants étaient rassemblés ce lundi devant le bureau du ministre de l’Immigration Marc Miller pour tenter de braver leur sort.
Rajvinder Kaur et son conjoint, Randhir Singh, sont arrivés au Canada en 2015 «en détresse», rapportent-ils par l’entremise d’une interprète devant le bureau du député fédéral Marc Miller. Elle raconte qu’ils ont dû fuir l’Inde après qu’ils aient subi de la répression de la police locale.
L’avocat du couple, Me Stewart Istvanffy précise pour sa part que c’est le militantisme de Mme Kaur, à titre de cheffe de village, contre la détention et la torture d’habitants perpétrées par les autorités policières qui aurait attisé la colère de ces dernières.
«M. Singh, qui s’occupait d’un temple sikh, a été détenu puis sévèrement battu par la police locale après avoir offert un hébergement et de la nourriture à deux militants séparatistes en faveur du Khalistan. C’est avec un esprit de vengeance contre sa femme que la police a torturé M. Singh dès qu’elle en a eu l’occasion», explique Me Istvanffy, sur le trottoir de la rue Saint-Jacques.
Mme Kaur explique que son mari est depuis affligé par la dépression et un choc post-traumatique. Bien qu’il est parvenu à trouver de l’aide médicale dans le réseau de santé québécois, son épouse confie à Métro que son état est demeuré fragile, leur quotidien étant rongé par l’incertitude de leur statut migratoire.
La Commission de l’immigration et du statut de réfugié aurait refusé leur demande d’asile formulée en 2016 notamment pour le motif que la menace qui les guette demeure « locale » à leur village de l’État du Pendjab situé au nord-ouest de l’Inde, selon des informations recueillies par Le Devoir. De l’avis de la Commission, il serait donc possible pour eux d’habiter dans un autre district plus sécuritaire.
Une première demande de résidence permanente a aussi été formulée en 2021, mais elle a été refusée. La deuxième, déposée par Me Istvanffy en 2023, n’a toujours pas été décidée. Cet intermède ne les protège toutefois pas contre la déportation dans leur pays d’origine.
Mme Kaur raconte qu’elle et son mari devaient initialement être renvoyés en Inde le 3 juillet dernier après avoir reçu un avis du gouvernement canadien. Une nouvelle qui a profondément chamboulé M. Singh qui a tenté de s’immoler par le feu le 22 juin dernier en penchant son turban qui enroulait sa tête sur le rond de poêle allumé. «Pour moi, retourner en Inde, c’est la mort», a-t-il déclaré durant la manifestation organisée par les organismes Solidarité sans frontière et le South Asian Diaspora Action Collective (SADAC).
Un nouvel avis d’expulsion du Canada prévoit maintenant leur expulsion samedi prochain. La Cour fédérale a récemment refusé la demande de sursis réclamée par Me Istvanffy sous prétexte, déplore-t-il, qu’elle n’a pas été convaincue que le renvoi du couple les exposait à un risque de dommage irréparable et un préjudice réel.
Celui-ci rajoute que, dans sa décision, le tribunal écarterait une protection importante prévue à la Charte canadienne des droits et libertés et reconnue par la Cour suprême du Canada. «La Cour suprême a dit qu’on ne devait pas renvoyer une personne dans un pays s’il y a un risque substantiel qu’elle y soit torturée», tonne-t-il.
Un risque qui n’aurait pas été démontré, de l’avis de la Cour fédérale, même si de nouvelles preuves transmises par le fils du couple font état de raids qui auraient été menés par la National Investigation Agency à leur résidence cette année.
Si l’avocat s’inquiète aussi de la détérioration éventuelle de l’état psychologique de M. Singh s’il est expulsé, ce sentiment n’est pas partagé par le tribunal, qui croit plutôt qu’il pourra avoir accès aux soins nécessaires en Inde.
Vers des vagues d’expulsion?
Plusieurs militants et proches du couple étaient présents pour demander au ministre de l’Immigration d’offrir la résidence permanente à Mme Kaur et M. Singh.
La coordonnatrice du Comité d’action de Parc-Extension Amy Darwish croit que l’histoire de ces deux personnes fait écho à la réalité de plusieurs résidents du quartier. «Depuis la dernière année et demie, plusieurs locataires ont commencé à obtenir des avis les prévenant que les procédures de renvoi avaient commencé, affirme-t-elle. On le voit particulièrement au sein de la communauté indienne et sikhe.»
Pour le Comité d’action de Parc-Extension, il est temps de mettre en place un «programme de régularisation des sans-papiers complet qui n’exclut personne».
Un empressement que partage le député solidaire de Saint-Henri-Saint-Anne et avocat en immigration, Guillaume Cliche-Rivard, lui aussi présent au rassemblement. M. Cliche-Rivard croit que l’histoire du couple met les projecteurs sur un enjeu destiné à devenir de plus en plus commun, mentionne-t-il. «Plus longtemps que les deux gouvernements fédéral et provincial attendent pour mettre en place un programme de régularisation, plus il y aura de situations comme celle-ci. Quand il y a de mobilisation populaire, le ministre finit par accorder un permis de séjour temporaire ou un sursis, ce qui montre qu’il y avait, à la base, une raison d’être à leur contestation et revendication. […] On ne peut pas à chaque fois faire des revendications individuelles fois 1000, fois 2000.»
Un autre militant, qui a demandé l’anonymat, avoue ne pas connaître l’histoire de Rajvinder Kaur et de Randhir Singh. Davantage préoccupé par l’enjeu de la crise climatique, il est simplement venu apporter son soutien aux deux menacés d’expulsion. Il invite également les gens qui militent pour la justice climatique de se solidariser avec les migrants, peu importe les raisons qui les amènent au pays.
«Je crois qu’il est important de faire des liens entre la justice climatique et la justice migratoire. L’Inde est très impactée par la crise climatique alors que des pays comme le Canada, qui est l’un des principaux responsables de la crise climatique, déportent des demandeurs d’asile», souligne-t-il.