Il peut être étonnant d’apprendre qu’un surdoué a dû lutter pour demeurer sur les bancs d’école. N’eût été d’une mère combative et des rencontres significatives dans le réseau scolaire public québécois, Henri Colin David Frenette ne serait peut-être pas en mesure aujourd’hui d’entretenir un rêve aussi grand que de jouer au hockey pour une université américaine avant d’intégrer la Ligne nationale de hockey (LNH).
En regardant une photo d’Henri à 10 ans, difficile de croire que ce petit bout de chou fréquentait déjà l’école secondaire Père-Marquette, dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie. Une première pour le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), rapporte sa mère, Mylany David.
Tous les deux sont attablés dans leur cuisine. Leur chat et chien de compagnie se sont bien installés à proximité, prêts eux aussi, semble-t-il, à écouter le parcours déjà étonnant d’un jeune de 15 ans. Un certain temps après avoir commencé l’entrevue, Henri a la bougeotte. «Désolé s’il faut que je me lève durant l’entrevue. J’ai besoin de bouger», s’excuse-t-il. À le voir piétiner, on dirait qu’il est possible d’entendre dans la pièce le cliquetis des rouages de son esprit vif contenu dans un corps qui ne demande qu’à matérialiser ses pensées en action. Une réalité qu’il a dû apprivoiser.
Le mouton noir
Très contemplatif, Henri était aussi un enfant «précoce», raconte Mylany. Que ce soit pour «se tenir, bouger, rouler, apprendre, il a toujours été en avance pour son âge». Un trait de caractère en soi positif qui allait bientôt l’amener à devoir faire face aux aléas d’un certain conformisme social.
Ses années à l’école primaire ont particulièrement été ardues du fait que l’apprentissage des élèves est basé sur la révision des concepts appris en classe d’une année à l’autre. «Il me disait: “Maman, je ne comprends pas pourquoi on revoit de la matière déjà vue l’année dernière. Un plus un est toujours égal à deux!”», se souvient Mme David.
Elle ajoute qu’en première année du primaire, son fils a été soumis à une évaluation orthopédagogique, puis neuropsychologique qui a permis de constater son haut potentiel intellectuel, notamment sur le plan de la rapidité dans le traitement visuel de l’information. «À sept ans, il était du niveau des élèves de cinquième année du primaire dans de nombreuses matières scolaires. Il a donc sauté sa deuxième année.»
Si certains professeurs ont choisi de contrer la frustration intellectuelle croissante d’Henri en le stimulant par des tests supplémentaires ou des jeux-questionnaires par exemple, d’autres n’ont pas su manifester autant d’ouverture à cet investissement personnalisé dans l’enrichissement de l’enfant. L’irrégularité de son instruction a fini par induire en lui un certain ennui qu’il évacuait en dérangeant ses autres collègues de classe.
Henri a fini par être renvoyé de l’école privée qu’il fréquentait. Il a fini sa course dans une école en adaptation scolaire où il a pu terminer sa quatrième, cinquième et sixième année en deux ans. «Le personnel avait l’habitude de travailler avec des enfants en difficultés d’apprentissage. Or, ce n’était pas le cas d’Henri. Cette école a donc dû s’adapter à ses besoins particuliers. C’était une solution, mais ce n’était pas la bonne», selon Mylany.
Une fourmi dans un monde de géants
Le passage à la «grande école» a été un autre défi à surmonter pour la famille David Frenette. «Aucune école privée ne voulait d’un élève avec deux ans d’avance.» La mère d’Henri mentionne au passage que ce dernier avait également reçu un diagnostic du syndrome d’Asperger à neuf ans.
Déterminée à trouver un milieu dans lequel son fils pourrait s’épanouir, Mylany a fait pression en multipliant les demandes auprès du CSSDM. Celles-ci ont finalement porté fruit: Henri intégrerait un nouveau projet pilote de classe hybride pour enfants doués mis sur pied à l’école secondaire publique Père-Marquette.
«J’avais l’impression d’être une fourmi dans un monde de géants», illustre Henri en repensant à sa première journée de classe. La transition dans ce nouvel environnement ne s’est pas faite sans remous, mais plusieurs membres du personnel scolaire l’ont aidé à voguer vers des eaux plus calmes.
«J’ai fait la plus belle rencontre de mon secondaire. Nadia Ramisch, qui est maintenant la directrice adjointe de l’école Père-Marquette, était la professeure qui s’occupait de la classe hybride. Elle a tout fait pour moi, toujours. Elle m’aidait quand j’étais en crise, envahi par les émotions. Comme une deuxième mère.»
Sa passion pour le hockey a aussi largement contribué à développer son sentiment d’appartenance au sein de l’équipe parascolaire de Père-Marquette composée de coéquipiers de deux à quatre ans son aîné, lesquels sont devenus ses amis. «Le hockey, c’est ma vie. Je ne pouvais pas imaginer ne pas jouer au hockey à Père-Marquette. J’étais obligé.» Au point qu’il s’est aussi inscrit dans la ligue civile de l’arrondissement. «Il pouvait jouer jusqu’à huit fois par semaine», ajoute Mylany.
L’intensité avec laquelle Henri se consacre à la pratique de ce sport s’explique par les sensations uniques que le hockey lui procure. «Je me sens moi-même. J’aime glisser sur la glace, sentir le vent et le froid. Quand je mets mon casque, ça coupe tout: le bruit, les angoisses. C’est le silence. Je suis dans ma game et j’ai du fun à gagner.»
Compétitif et ambitieux de nature, Henri est parvenu à la sueur de son front à intégrer l’équipe Bantam AAA du National de Montréal Élite l’été dernier. Sa plus grande fierté à ce jour, confie le hockeyeur porté notamment par les encouragements et le soutien de son ancien entraîneur à l’école secondaire Père-Marquette, Maxime Clermont.
Plus ça change, plus c’est pareil
Henri a terminé son secondaire comme son primaire: dans l’incertitude. Le cheminement habituel mènerait l’étudiant vers le cégep. Or, à 15 ans, celui-ci a encore besoin d’encadrement et désire poursuivre sa carrière de hockey, mais à moins d’une dérogation, un jeune de son âge n’est pas en mesure de jouer dans une équipe collégiale.
«Son père et moi aurions été contraints de le conduire d’aréna en aréna pratiquement tous les jours si on l’inscrivait dans une autre ligue compétitive», souligne M. David.
N’ayant pas trouvé d’options dans le réseau d’enseignement public québécois, Henri refera l’équivalent de sa quatrième et cinquième secondaire, cette fois-ci en anglais, à la Bishop College School, un établissement scolaire privé à Sherbrooke. Il continuera à parfaire son jeu au sein de l’équipe de hockey de division 1 de cette école dans l’espoir de se faire éventuellement recruter par une université américaine.
«Je veux avoir de bonnes études et vivre l’ambiance de jouer au hockey dans une grosse école comme dans les films américains. Je ne souhaite pas vraiment aller dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) parce qu’elle ne priorise pas du tout les études. Si j’y allais et que le hockey professionnel ne marchait pas, je n’aurais alors pas de plan B.»
Henri Colin David Frenette entretient de grands rêves. Si on ne peut prédire l’avenir, on peut en revanche espérer que la persévérance et la détermination du jeune hockeyeur à faire sa place influenceront sa destinée.