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«Maltraitance organisationnelle»: des résidents d’Excelsoins Ste-Geneviève tirent la sonnette d’alarme

Jean-Marc Beauchamp, résident d'Excelsoins Ste-Geneviève. Photo: Nicolas Monet/Métro

Retards quasi quotidiens pour la sortie du lit, douche manquée, un après-midi complet passé dans un pantalon mouillé d’urine: des résidents d’Excelsoins Ste-Geneviève, résidence privée pour aînés de l’Ouest-de-l’Île, tirent la sonnette d’alarme sur ce qu’ils qualifient de «maltraitance organisationnelle». Ils dénoncent une explosion des délais pour recevoir des soins depuis le licenciement de préposés aux bénéficiaires au début du mois de juin.

Cette réduction de personnel a été effectuée alors que l’établissement peinait déjà «à rendre, en temps raisonnable, les services et ses obligations envers l’ensemble des résidents». C’est du moins ce que déplore un résident, Jean-Marc Beauchamp, dans une plainte écrite visant Excelsoins et transmise à la résidence de même qu’au CLSC Pierrefonds et au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, dont Métro a obtenu copie.

La maltraitance organisationnelle

La maltraitance organisationnelle consiste notamment en une «offre de services inadaptée aux besoins des personnes» et à une «capacité organisationnelle réduite», selon la Politique-cadre de lutte contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité du ministère de la Santé et des Services sociaux. Elle peut, entre autres, être détectée par la «prestation de soins ou de services selon des horaires plus ou moins rigides» et une «attente indue avant que la personne reçoive un service».

La conjointe de M. Beauchamp, Anne-Marie Demers, souffre de sclérose en plaques et a perdu l’usage de ses jambes. Deux personnes doivent être mobilisées pour la changer, lui faire prendre une douche et la sortir du lit. Or, depuis le début du mois, un seul préposé aux bénéficiaires s’occupe désormais des 48 résidents aux 3e et 4e étages, celui du couple Demers-Beauchamp.

Mme Demers est censée être levée à 10h, mais sort fréquemment du lit vers 11h ou 11h30, affirme M. Beauchamp, qui prend des notes détaillées à la minute près des soins octroyés à sa conjointe. «La moitié de la journée est déjà passée», déplore-t-il.

Le 8 juin, Mme Demers n’a pu prendre une de ses deux douches hebdomadaires en raison du retard des préposés. Le lendemain, la deuxième personne appelée par la préposée à l’étage à 14h30 n’est jamais arrivée et Mme Demers n’a pas été changée avant 21h30, s’insurge M. Beauchamp.

«Qu’est-ce que tu veux que je fasse? Qu’est-ce que tu veux que je dise?», confie Anne-Marie Demers, impuissante.

Elle est restée dans son urine pendant tout ce temps-là. Les pantalons tout mouillés, le gilet de transfert mouillé, la chaise toute mouillée.  

Jean-Marc Beauchamp, résident d’Excelsoins Ste-Geneviève
La résidence pour personnes aînées Excelsoins Ste-Geneviève, dans l’arrondissement de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève. Nicolas Monet/Métro

Le CIUSSS «activement impliqué»

Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal confirme «être activement impliqué auprès de la résidence Excelsoins de Sainte-Geneviève, à la suite des signalements en lien avec la qualité des soins et services», dans une déclaration écrite envoyée à Métro.

«Dès que les situations ont été portées à notre attention, nos équipes sont intervenues, réagit la porte-parole du CIUSSS, Hélène Bergeron-Gamache. Un plan d’action a été développé et son application est suivie rigoureusement par nos équipes.»

«Il peut effectivement y avoir certains délais qui sont plus importants qu’avant», explique le directeur général de la résidence Ste-Geneviève, Serge Huard. Il offre toutefois un portrait un peu plus nuancé. Quelques résidents lui ont fait part de retards, mais personne ne s’est plaint «d’absence ou de coupure de service».

Le jeudi 15 juin, trois représentants du CIUSSS ont visité la résidence après avoir eu écho de retards découlant des réductions de personnel, relate-t-il. «Il n’y a rien qui est sorti comme étant alarmant», assure M. Huard.

Excelsoins est très «proactive» pour prévenir les abus et les manquements, allant même jusqu’à «s’autodéclarer» au CIUSSS, assure le vice-président aux opérations d’Excelsoins, Yves Desjardins. «Quand il y a des évènements de cette nature-là, on va systématiquement déclencher une enquête interne pour faire des ajustements et déterminer un plan d’action», poursuit-il.

Excelsoins assure ignorer les allégations d’Anne-Marie Demers selon lesquelles elle n’aurait pas été changée entre 14h30 et 21h30, mais compte enquêter sur les évènements. Si Mme Demers a réellement été laissée dans son urine pendant près de sept heures, «on est dans une problématique avec un préposé en particulier», souligne Serge Huard. «Ce n’est pas à cause d’un manque de ressources ou d’un manque d’options.»

Une question de viabilité financière, plaide Excelsoins

Excelsoins Ste-Geneviève applique les ratios de préposés aux bénéficiaires qui étaient en vigueur avant la pandémie de COVID-19, explique sa vice-présidente direction des soins infirmiers, Christine Bélanger. «Il fallait revenir à un mode de fonctionnement qui est viable, au niveau financier», plaide-t-elle.

Le nombre de préposés, en tenant compte de l’infirmière auxiliaire et de l’infirmière coordonnatrice qui s’occupent de l’entièreté de la résidence, est suffisant pour rendre tous les services, assure-t-elle. «On est très loin des ratios minimums [prévus par la réglementation].»

Ces ratios sont déterminés en fonction d’une comparaison avec d’autres résidences au Québec et avec des partenaires comme le CIUSSS, en fonction de la capacité de payer des résidents, explique Yves Desjardins.

Demain matin, si on rajoute trois préposés de plus, il va falloir les charger aux gens.

Yves Desjardins, vice-président aux opérations d’Excelsoins

Notons que M. Beauchamp, complètement autonome, paye 2000 $ par mois pour son unité. Mme Demers, qui a besoin d’assistance pour se déplacer, prendre sa douche deux fois par semaine, se changer et aller et sortir du lit, paye 2600 $ par mois. Le CLSC Pierrefonds débourse 1170 $ mensuellement pour les soins de santé supplémentaires de Mme Demers.

«Il y a encore probablement des ajustements à faire», reconnaît Yves Desjardins, qui souligne que les nouveaux ratios ne sont en vigueur que depuis deux semaines. Les «routes de travail» des préposés seront révisées pour mieux répondre aux besoins des résidents, assure-t-il, notamment pour éviter les délais causés par l’attente d’un deuxième préposé.

Les habitudes changeantes des résidents auraient empêché de faire ces ajustements avant les réductions de personnel, explique-t-il.

«Un CHSLD déguisé en RPA»

Le nombre élevé de résidents d’Excelsoins Ste-Geneviève ayant des besoins importants crée une pression supplémentaire sur les préposés aux bénéficiaires, ce qui contribuerait également aux retards dans les soins, soutient M. Beauchamp.

«C’est un CHSLD déguisé en résidence pour personnes aînées», accuse M. Beauchamp. Excelsoins accepte des cas lourds qu’elle n’est pas en mesure de servir convenablement pour maximiser ses revenus, poursuit-il.

«Plus de 50% des résidents sont non autonomes, aux prises avec des problèmes physiques ou cognitifs sérieux qui méritent de recevoir des services de qualité dans un temps raisonnable, ce qui est impossible dans la structure actuelle», dénonce-t-il dans sa plainte du 11 juin.

En plus des 20 résidents de l’unité de soins, 19 résidents des 3e et 4e étages reçoivent de l’assistance. «Avec les années et les pandémies, la résidence s’est alourdie au niveau de la clientèle», reconnaît Christine Bélanger.

Les futurs résidents ne sont pas soumis à une évaluation médicale avant leur arrivée, précise Yves Desjardins. Les infirmières font plutôt «une appréciation générale» de la personne afin de prévoir l’importance des soins nécessaires, explique-t-il. Des intervenants du CLSC Pierrefonds font toutefois des évaluations médicales en bonne et due forme périodiquement des résidents, une fois qu’ils ont emménagé.

Jean-Marc Beauchamp et Anne-Marie Demers le réitèrent à plusieurs reprises, ce sont les décisions administratives qu’ils remettent en cause, et non le travail des préposés, qui «se donnent cœur et âme». «Les préposés, lorsqu’ils donnent le service, le font de façon exemplaire, malgré la pression», souligne M. Beauchamp.

Son combat va au-delà des conditions de soins de sa conjointe. «Ce qu’on veut, c’est un peu plus de respect et de dignité pour les aînés», conclut-il.

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