Urgences débordées: «pensez à consulter ailleurs», demande un urgentologue
Alors que le taux d’occupation moyen dans les urgences de Montréal explose à 122% et que les services débordent de patients, un urgentologue appelle les Montréalais à consulter ailleurs qu’aux urgences.
C’est entre deux quarts de travail que l’urgentologue Robin Nathanson, chef adjoint des urgences de l’Hôpital du Lakeshore dans l’Ouest-de-l’Île, a accordé à Métro une brève entrevue, le mardi 12 juillet, pour tirer la sonnette d’alarme. Depuis les deux dernières semaines, le docteur croule notamment sous des patients atteints de la COVID-19 et de l’influenza (la grippe).
Selon le site indexsante, les urgences de l’Hôpital général du Lakeshore sont dans le rouge avec un taux d’occupation de 132% le 14 juillet. «Sur une capacité de 31 civières, on avait 54 patients la fin de semaine dernière, et même 60 la semaine d’avant», déplore Robin Nathanson.
Nous, à l’urgence, on veut vraiment être là pour les urgences. Pas pour remplir des formulaires ou s’occuper de prescriptions de médicaments.
Robin Nathanson, chef adjoint des urgences de l’Hôpital général du Lakeshore, dans l’Ouest-de-l’Île.
La présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), Judy Morris, confirme la gravité de la situation. «L’occupation sur civière aux urgences est critique. Sur toute l’île, rive nord comme rive sud, il y a beaucoup de patients qui attendent un lit à l’étage, mais qui n’ont pas de place. Et pour les patients qui viennent se présenter sur pied dans la salle d’attente, il y a d’énormes délais: 10h, 12h, j’ai même entendu 20h d’attente. C’est un peu catastrophique», admet Judy Morris, qui est aussi urgentologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.
Dans ce contexte de débordement, le Dr Robin Nathanson invite la population à utiliser d’autres options de consultation médicale avant de venir engorger davantage les urgences. «Ce n’est pas qu’on ne veut pas que les patients viennent à l’urgence. C’est que lorsque quelqu’un ne souffre pas d’un mal aigu, ou qu’il s’agit d’une douleur chronique, c’est mieux d’explorer les autres options, avant de venir aux urgences», explique le docteur.
Médecins de famille et cliniques privées?
«Le mieux, quand on a un médecin de famille, c’est de le contacter. La plupart disposent de créneaux sans rendez-vous, et peuvent aussi rediriger le patient vers un autre confrère ou un infirmier», conseille Robin Nathanson. Mais, dans les faits, plusieurs Montréalais qui disposent d’un médecin de famille témoignent justement de leur difficulté à obtenir un rendez-vous en urgence ces derniers jours.
C’est le cas de Pascale, résidente du Sud-Ouest, qui souffre d’une douleur intense au dos et ne parvient pas à avoir de rendez-vous avec son médecin de famille de LaSalle depuis maintenant 10 jours. «On me dit que c’est complet et que je dois rappeler chaque jour pour savoir si une place s’est libérée, ou d’aller aux urgences», explique Pascale. «J’attends, car je suis encore capable d’attendre, mais si la douleur s’aggrave, je vais aller aux urgences à l’Hôpital de Verdun, qui est le plus proche, ou bien à l’Hôpital général», ajoute-t-elle.
Le plus difficile, c’est de trouver la fine balance entre un patient qui fait un infarctus et qui doit absolument être admis aux urgences, et un patient à l’urgence mineure qui pourrait prendre du Tylenol et n’a pas besoin d’être aux urgences.
Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ).
«Pour ceux qui n’ont pas de médecin de famille, il faut aussi composer le 811. Ce service du ministère de la Santé met en contact les patients avec des infirmiers qui vont conseiller et aiguiller le patient», ajoutent d’une même voix les urgentologues Nathanson et Morris. «Il faut aussi penser aux cliniques qui prennent des patients sans rendez-vous, par exemple, dans l’Ouest, la clinique médicale Medistat située à Pierrefonds. Le Centre local de services communautaires (CLSC) offre également de nombreuses ressources à la population, spécialement dans le domaine de la santé mentale», précise Robin Nathanson, qui conseille aussi le système BonjourSanté, qui propose, selon lui, un rendez-vous immédiat dans la clinique privée la plus proche de chez soi, ou encore le système virtuel de téléconsultation.
De son côté, le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, évoque le bon fonctionnement du nouveau système Guichet d’accès à la première ligne, déployé dans toutes les régions du Québec depuis juin 2022, pour les personnes en attente d’un médecin de famille. «Sur cette plateforme, les gens peuvent s’inscrire pour avoir un rendez-vous entre 36h et 72h dans la région où ils habitent, et ça, je sais que ça semble bien fonctionner», affirme Paul Brunet.
Et les enfants dans tout ça?
Thierry, père de famille montréalais, témoigne également de la grande difficulté qu’il a eue, il y a 2 mois, à obtenir un rendez-vous urgent avec le pédiatre de son fils dans une clinique du centre-ouest de Montréal.
«On avait un soupçon d’otite pour mon garçon de trois ans, qui a des antécédents avec ses oreilles et a déjà été opéré», explique le papa qui réside à Villeray. «Le pédiatre n’avait pas de place avant deux semaines. Alors, chaque jour à 7h, pendant une semaine, ma femme et moi avons appelé pour obtenir un créneau sans rendez-vous. Mais on n’en a pas eu, et la plateforme BonjourSanté n’a pas été capable non plus de me donner un rendez-vous», raconte Thierry, qui a finalement attendu deux semaines et demie pour que son fils puisse obtenir une consultation, dans le cadre d’un rendez-vous de suivi classique pris des semaines auparavant. «On a eu de la chance que ses symptômes ne s’aggravent pas. Sinon, on aurait probablement été à Sainte-Justine.»
«Lorsqu’un enfant est gravement malade, il y a des cliniques pédiatriques spécialisées, comme Agoo à Laval, le Centre d’urgences pédiatriques UP à Brossard, et la clinique pédiatrique Tiny Tots à Dollard-des-Ormeaux et Côte-Saint-Luc», explique le Dr Nathanson.
Des solutions pour désengorger les urgences?
La présidente de l’AMUQ milite pour un retour au système «un appel, un rendez-vous.» «Ça nous aiderait beaucoup que le ministère [de la Santé] réinstaure ce service, qui avait été mis en place sur l’île de Montréal avec un numéro unique et qui fonctionnait très bien pour les cas pédiatriques et les patients qui n’avaient pas de médecin de famille», précise Judy Morris.
Paul Brunet, quant à lui, opte encore pour une autre solution afin de désengorger les services des urgences. «Ce que l’on propose, mais le ministre [Dubé] ne veut pas l’entendre, c’est qu’on aille soigner les personnes âgées en perte de mobilité directement chez elles. Comme ça, on libérerait environ 25% des lits à l’hôpital, et ça soulagerait les urgences puisqu’on pourrait monter les patients en chambre.»