«Plus jamais silencieuses» : un visage vaut mille mots
Participer à l’émancipation de voix, mutiques ou réprimées, de femmes victimes d’oppression fondée sur leur genre. C’est ce que fait le film documentaire Plus jamais silencieuses de la finissante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques Caroline Pierret Pirson, qu’elle présente à la Galerie de l’UQAM jusqu’au 22 octobre.
Dans ce film dépouillé, tout en sobriété, 19 Montréalaises âgées de 26 à 74 ans, originaires de 10 pays, témoignent de la violence qu’elles ont subie, au sein de leur famille, de leur couple ou au travail.
Durant 70 minutes, Caroline met au défi le public de les écouter, sans interruption, de leur accorder toute son attention.
« Pour moi, le problème de la société et de la violence, c’est le manque d’écoute. C’est le propos de mon travail », explique Caroline en entrevue, attablée au café Pista dans La Petite-Patrie, où elle demeure.
À l’écran se succèdent sur fond noir les visages en gros plan de ces femmes qui se dévoilent. Caroline a veillé à ce que nulle fioriture visuelle ou sonore ne perturbe leur récit, afin de favoriser un état d’écoute total. De laisser s’affranchir les émotions.
Émotions qui ne s’expriment pas que par les mots, mais également par les visages, des yeux humides, une voix chevrotante. Tant de subtilités qui révèlent des parts intimes de l’autre.
Ce qui est dit est extrêmement important, mais l’intonation, le moment d’hésitation, le moment de pause le sont aussi. Ça crée aussi l’émotion. C’est ce qui fait qu’on rentre aussi dans la compréhension subtile de l’autre.
Caroline Pierret Pirson, artiste multidisciplinaire
Qu’as-tu toujours été empêchée de dire?
Sans rupture, le film se décline en quatre chapitres, constitués des questions qu’a posées Caroline aux participantes : d’où viens-tu? Qu’as-tu toujours été empêchée de dire parce que tu es une femme? Qu’est-ce que le moment #metoo a provoqué chez toi? Et, finalement, qu’as-tu envie de confier ou de conseiller à ta meilleure amie, ta sœur, ta cousine, aux femmes?
Ces épanchements sont venus d’amies, mais également de femmes qu’elle ne connaissait pas, qui ont répondu à son appel à toutes sur les réseaux sociaux. C’est dans sa cuisine, devant un drap de velours ébène, qu’elle a capté leurs témoignages, leur tenue noire mettant l’accent sur leur visage, et toutes les émotions qui le traverse.
« Ma quête, c’est le murmure de l’être. Ce n’est pas tant ce que les gens disent qui me fascine que ce que les gens sont. L’intériorité me touche », confie la créatrice qui aime « capter l’âme à travers le visage ».
Un jour, lors d’une fête, elle a proposé aux convives de prendre place en solitaire dans une voiture contenant un micro et de confier leurs pensées comme s’ils et elles marchaient seul.e.s, dans le métro par exemple. « Et ce que j’ai entendu était tellement incroyable que ç’a déclenché tout le travail qui a suivi. J’ai su que je voulais travailler avec la voix, avec le récit. »
Exercice exigeant d’écoute
À la Galerie de l’UQAM, les chaises disposées en demi-cercle devant le moniteur diffusant la vidéo « créent une espèce de cercle de la parole, comme si la personne nous racontait son histoire », décrit Caroline. Sur le mur opposé est projetée une mosaïque de visages de femmes, sur le même fond noir épuré, qui regardent les femmes en face d’elles. « Il y a les femmes qui parlent et celles qui écoutent », expose-t-elle.
Je sais que c’est un format expérimental qui fait peur. Le public devra avoir un réel désir d’écouter. C’est exigeant, c’est un travail. Mais je pense que ça peut apporter quelque chose à ceux qui l’écouteront.
Caroline Pierret Pirson, artiste multidisciplinaire
Un autre volet, intitulé À toi la parole!, se greffe à son exposition. Jusqu’au 8 novembre, l’artiste convie le public à appeler au 514 272-6423 et à laisser un message vocal répondant à une unique question : qu’as-tu toujours été forcé·e de taire?
À partir de ces prises de parole, Caroline souhaite réaliser une installation audio qui accompagnerait Plus jamais silencieuses.
Elle rêve maintenant que son film voyage dans les festivals de cinéma. Et qu’à l’échelle plus locale, des maisons de la culture le diffusent afin qu’en découlent de la médiation, des discussions… et de l’écoute.
Choisir sa vocation
En 2019, Caroline Pierret Pirson a quitté son emploi afin d’embrasser sa vocation artistique, amorçant une maîtrise à l’UQAM. Ce retour à l’université a été difficile sur bien des plans, convient-elle. « Tu t’appauvris, c’est terrible quand tu te lances dans les arts. Je n’ai aucune sécurité », admet la titulaire d’une maîtrise en photographie à la Cambre à Bruxelles, obtenue en 1998, qui a réalisé par le passé moult installations et pris part à une foule d’expositions, en Belgique, au Québec et aux États-Unis.
Lorsqu’elle s’est établie au Québec, il y a près de 20 ans, elle a délaissé la création. Or, ces années à « mettre des gens en lien » à tant que coordonnatrice de projets culturels, « ça titillait mon désir de reprendre la création par moi-même et d’entrer dans la recherche », relate-t-elle, soulignant combien ces années avaient façonné son écoute. Elle s’est donc lancée, et Plus jamais silencieuses, sa première exposition solo au Québec, « est l’aboutissement d’un long cheminement intime, migratoire et collectif ».
Plus jamais silencieuses
Jusqu’au 22 octobre
La Galerie de l’UQAM
1400, rue Berri
Pavillon Judith-Jasmin, local J-R120