C’était le 13 septembre, en 2006. Une date qui, comme pour plusieurs autres, a marqué le conseiller de l’arrondissement Verdun, Pierre L’Heureux. Encore aujourd’hui, les événements teintent certaines facettes de son quotidien.
À l’époque professeur d’histoire du crime du Canada, il se trouvait dans son bureau lorsque Kimveer Gill a fait irruption dans le Collège Dawson pour faire feu sur les étudiants, tuant Anastasia De Sousa et faisant 16 blessés.
Avec des collègues enseignants, M. L’Heureux a entendu des détonations, sans toutefois pouvoir croire que ce soit une fusillade. Il s’est alors dirigé vers l’Atrium du collège anglophone de la rue Sherbrooke, à Westmount.
«Je ne serais jamais allé vérifier si j’avais vraiment cru que c’était des coups de feu», se souvient-il.
Il était 12h41 et l’endroit était bondé d’étudiants qui mangeaient, comme tous les midis. Alors qu’il descendait les escaliers, le bruit des rafales s’est accentué. «J’avais l’impression que le tireur était à côté de moi», raconte Pierre L’Heureux.
Il est retourné à son bureau et a ordonné aux autres enseignants de se barricader. Les coups de feu ont résonné pendant une douzaine de minutes qui lui ont semblé interminables. Couché sur le sol, il ne savait pas s’il s’agissait d’une attaque d’un ou de plusieurs tireurs, et s’attendait au pire.
«J’ai été chanceux», constate celui qui, quelques instants avant la tuerie, se trouvait dans l’Atrium pour récupérer un projecteur.
Kimveer Gill, lourdement armé d’un pistolet, d’une carabine semi-automatique de type Beretta, d’un fusil de chasse chinois et de centaines de munitions, a fait feu sur la foule avant de s’enlever la vie, déjà blessé par le tir du policier Denis Côté.
Fragilité
Pendant 10 ans, Pierre L’Heureux n’a pas souhaité parler de ce qui lui est arrivé. Revisiter le fil des événements en ce jour de commémoration lui a pourtant remis en tête certains souvenirs. «La chronologie m’a fait réaliser que tel coup de feu que j’ai entendu était associé à telle victime», témoigne le conseiller.
Pierre L’Heureux n’a pas eu de soutien psychologique à l’époque, car il ne se considérait pas comme une victime. «J’ai vécu quelques semaines de stress post-traumatique, avoue-t-il, mais je me disais qu’en tant que prof, je devais être solide pour les étudiants».
Il se rend compte que cette expérience a laissé des traces. «Ma lecture des situations est différente de celles des gens qui n’étaient pas sur place. Il suffit que quelqu’un ressemble au tueur de Dawson ou qu’il y ai un bruit fort pour que ça vienne me chercher».
Par exemple, un homme vêtu d’un pantalon militaire et portant un sac a fortement fait réagir M. L’Heureux lors d’un conseil d’arrondissement. Il a refusé d’entrer dans la salle jusqu’à ce que la sécurité s’en occupe. «Le gars a un sac, c’est certain que je ne vais pas là», s’est-il dit alors, paralysé par la peur.
Responsabilité
Malgré cette expérience, Pierre L’Heureux ne croit pas qu’augmenter la sécurité dans les écoles soit souhaitable puisque cela créerait un faux sentiment de sécurité.
«Si quelqu’un veut vraiment entrer dans une école, il va entrer. Ça ne va pas prévenir un autre massacre. Les écoles, c’est l’avenir et l’ouverture. Il ne faut pas cloisonner ces institutions, ça irait à l’encontre de leur mission», fait-il valoir.
Pierre L’Heureux enseigne toujours à Dawson. Il continue de croire que les professeurs, en tant que guides, ont la responsabilité d’être disponibles en plus de soutenir les étudiants. C’est d’ailleurs pourquoi il a repris les cours moins d’une semaine après le drame.