Sainte-Justine: 30 enfants sur la liste d’attente en chirurgie cardiaque
Entre septembre 2022 et mai 2023, 33 chirurgies cardiaques de jeunes enfants ont été reportées au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine. Le syndicat local y voit comme cause principale la pénurie de personnel infirmier, et doute de la capacité du système de santé à répondre aux besoins de ses patients les plus jeunes et vulnérables.
«Il faut vraiment tirer la sonnette d’alarme. On parle aussi du stress des familles qui voient les chirurgies de leur enfant reportées de 24 heures, 48 heures, parfois bien plus, tout dépendamment de la gravité», souligne en entrevue avec Métro Nadia Joly, représentante des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires au CHU Sainte-Justine.
Environ le tiers des opérations cardiaques programmées, qui concernent souvent les enfants les plus jeunes, ont dû être reportées au moins une fois au cours des neuf derniers mois, d’après Mme Joly.
«Il est important de ne pas être alarmiste, nuance de son côté le ministère de la Santé dans un courriel envoyé à Métro. Les personnes qui nécessitent une chirurgie urgente sont traitées et opérées en priorité. […] Toute chirurgie qui doit être reportée fait l’objet d’une analyse par les cliniciens et est reprise dans les meilleurs délais possibles», assure-t-on.
«Ça n’empêche pas aussi que parfois, ces jeunes patients sont instables, rétorque Lila*, une infirmière en cardiologie à Sainte-Justine. Un enfant avec une pathologie cardiaque instable qui attend pour avoir sa chirurgie pourrait décompenser n’importe quand. Et ce qui était prévu le mardi matin à l’horaire, mais qui a été annulé, devient une urgence dans la nuit du mercredi parce qu’on vient peut-être d’engager le pronostic vital. Ça peut arriver», s’inquiète-t-elle.
Liste d’attente conséquente
«Quand on parle de chirurgies cardiaques, parfois, ça peut devenir urgent, décrit l’infirmière. Souvent, on a de jeunes enfants en bas d’un an qui ont des malformations cardiaques, ou encore qui doivent être hospitalisés pour avoir un support en oxygène, un support en intraveineux. Donc, il y a cette qualité de vie là qui fait en sorte qu’il faut qu’on l’opère.»
Le syndicat indique que ces reports de plus en plus fréquents concernent les chirurgies qui exigent des soins intensifs pédiatriques après l’opération. «On parle des chirurgies cardiaques, des chirurgies en neurologie, en orthopédie. Ce sont des chirurgies qui requièrent un personnel expérimenté pour prendre en charge les patients après ce qu’on appelle un retour en postopératoire», explique Nadia Joly.
«Comme la majorité des établissements de santé, le CHU Sainte-Justine a pris du retard sur ses activités chirurgicales à cause de la pandémie et de la crise historique des virus respiratoires qui a pris d’assaut les établissements pédiatriques l’automne dernier, précise l’établissement de santé, qui est reconnu pour son expertise en pédiatrie. La liste des chirurgies en attente, qui était estimée à une durée de plus d’un an, demeure élevée, mais présente actuellement une baisse encourageante.»
Le ministère de la Santé se félicite de cette «tendance encourageante». Certaines chirurgies sont aussi effectuées dans des cliniques médicales spécialisées afin d’accélérer la réalisation des opérations, précise-t-on.
Les cliniques médicales spécialisées en renfort
Les chirurgies retardées ont des conséquences sur la disponibilité des lits. «Ça arrive qu’on dise aux parents le matin même de l’opération: désolé, mais ce sera pas aujourd’hui, et ça va peut-être être demain. Et aussi parce qu’ils utilisent un lit, c’est un effet domino, où il y a des hospitalisations qui vont attendre plus longtemps en bas à l’urgence», explique Jessie*, infirmier du CHU Sainte-Justine.
À l’automne 2022, le CHU Sainte-Justine a ouvert quatre lits de soins intensifs hors de l’unité réservée à ce type de soins. Certains patients et patientes subissant une chirurgie cardiaque sont aussi pris en charge à l’unité de néonatalogie à la suite de l’intervention.
«Nous sommes sensibles aux impacts du report d’une chirurgie pour les patientes et patients et leurs familles, indique le CHU. À noter que diverses raisons peuvent influencer le report ou l’annulation de chirurgies, par exemple, une personne qui contracte un virus avant son opération», commente la direction des communications.
En ce qui concerne les solutions possibles à ce problème, les ententes avec des cliniques médicales spécialisées (CMS), en place depuis l’automne, ont permis d’augmenter l’accès à la chirurgie. «Certaines spécialités, dont la chirurgie cardiaque, ne peuvent toutefois être effectuées qu’en centre hospitalier, car elles nécessitent une hospitalisation aux soins intensifs», ajoute l’établissement.
Problème de rétention de personnel
Nadia Joly, qui exerce au CHU Sainte-Justine depuis 32 ans, craint que la situation ne s’améliore pas avec les vacances d’été, surtout considérant la liste d’attente existante. «Puis, il y a un exode des soins intensifs, les gens partent. Il faut qu’on mette quelque chose en place», martèle-t-elle.
Plusieurs professionnels de santé du CHU sondés par Métro évoquent un problème criant de pénurie de personnel. Ce problème serait à la source des reports de chirurgies pédiatriques. «Aux soins intensifs pédiatriques, il manque en général 10 à 12 personnes par quart de travail», dit la représentante des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires.
Cependant, elle souligne que le problème fondamental réside dans une pauvre rétention, faute de conditions de travail attrayantes. Elle met en lumière l’importance d’offrir de meilleures conditions afin de retenir le personnel existant et d’attirer de nouveaux employés. Par exemple, offrir des postes permanents de 12 heures plutôt que des contrats, pour plus de stabilité.
Le problème n’est par ailleurs pas nouveau. En 2022, de nombreux médias avaient rapporté que des opérations étaient reportées en raison d’un manque de personnel. «Le métier d’infirmière à Sainte-Justine, ça restera toujours le plus beau métier du monde. Mais actuellement, c’est tellement rendu difficile de l’exercer, avec la capacité de ce qu’on peut donner comme soins», conclut Mme Joly.
*Les membres du personnel interrogés par Métro ont requis l’anonymat.