Avant Roxham: une famille détroussée tout le long du chemin
Partie avec un petit pécule de dollars américains en poche et ses possessions les moins encombrantes, Lina Ordonez a choisi de fuir sa Colombie natale avec son mari et ses deux filles. Mais elle ne s’imaginait pas en partant que sa famille serait détroussée de tout pendant le voyage jusqu’au Canada.
Avant Roxham retrace le parcours d’immigrants qui ont emprunté le désormais célèbre chemin pour venir au Québec, mais dont l’histoire a commencé bien avant…
Lina et son mari, Jefferson, ont voulu quitter leur pays à cause de la menace de gangs criminels avoisinants. Ayant peur pour leur vie, ils ont préféré laisser leurs proches et leur foyer pour trouver un avenir meilleur, plus sécuritaire, ailleurs.
Le couple a d’abord pu acheter quatre billets d’avion à destination de Cancún grâce à la vente de la camionnette qu’utilisait Jefferson pour son travail. Leur objectif était alors d’aller vivre aux États-Unis.
Ils sont partis de Cancún en autobus et se sont rendus jusqu’à la ville de Mexicali. Trois autres Colombiens étaient aussi dans l’autobus parmi les voyageurs mexicains. Près de Mexicali, la police locale est montée à bord.
«Quand les policiers sont entrés, ils nous ont directement repérés [nous, les Colombiens], explique Lina. Mon mari s’est fait déshabiller au complet et ils ont pris tout l’argent qu’il avait sur lui.»
Les policiers lui ont demandé 100 dollars américains pour chacun des quatre membres de la famille, une somme importante pour eux.
L’autobus a pu repartir, mais pas pour bien longtemps. Un groupe d’hommes cagoulés et armés a de nouveau fait arrêter l’autobus.
«Ils ont remarqué que mon mari n’avait plus d’argent, car les policiers l’avaient déjà volé. Ils m’ont donc fouillée. Ils n’ont pas trouvé tout l’argent, mais ils en ont pris une grande partie.»
Au total, l’autobus a été arrêté sept fois le long de la route par des groupes paramilitaires qui les fouillaient et prenaient chaque fois ce qu’ils trouvaient. Une femme d’un groupe paramilitaire est allée jusqu’à passer sa main sous le soutien-gorge de Lina pour vérifier si quelques dollars n’y étaient pas dissimulés.
«Parfois, je demandais à mon mari d’aller se cacher dans la toilette de l’autobus avec les enfants pour ne pas se faire arrêter.»
Toutes ces étapes-là étaient difficiles, mais on ne voulait pas retourner en Colombie. Notre motivation la plus grande était, oui, d’avoir une meilleure vie, mais surtout pour nos enfants, pour qu’ils ne vivent pas la même vie que celle qu’on a vécue, avec toute cette violence.
Lina Ordonez, demandeuse d’asile
Encore dépouillés… par les services américains
Une fois la famille arrivée à Mexicali, il lui a fallu traverser le désert – un trajet de près d’une heure. Puis, elle a atteint la frontière américaine, où les gardes frontaliers l’ont arrêtée. La famille a passé trois jours dans un centre de détention.
Lors de l’arrivée au centre, les forces de l’ordre ont privé le couple et ses enfants de toutes les affaires qui leur restaient, y compris leurs documents d’identité. Elles ne leur ont permis d’avoir que des copies de ces derniers.
«Ils nous ont pris toutes nos valises et tous nos sacs, ils ont pris tous nos vêtements. On n’avait plus accès à rien. Même pas aux peluches des enfants! Tout ce qu’ils nous ont permis d’avoir, c’est un chandail, un pantalon, des gants – car il faisait froid – et nos souliers sans lacets.»
Selon Lina, les conditions au sein du centre de détention étaient «inhumaines». On ne leur fournissait qu’une conserve de soupe à diluer avec de l’eau et un burrito de mauvaise qualité, parfois accompagné d’une pomme. Lina raconte que le burrito était tellement infect que c’était devenu une blague entre détenus de savoir qui avait réussi à le manger.
En sortant du centre de détention, la famille a trouvé refuge pendant cinq jours dans une église. Lina, Jefferson et leurs enfants ont pu enfin être nourris convenablement et recevoir des vêtements. Malgré ce regain d’espoir, l’expérience vécue dans le centre de détention américain et le contexte politique entourant les armes à feu aux États-Unis leur a enlevé l’envie de s’y établir. Cela leur rappelait de trop près leur pays d’origine.
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«En se rendant aux États-Unis, on pensait rester là, mais on s’est rendu compte que tout le trafic d’armes et l’accessibilité aux armes qu’il y avait ne nous faisaient pas sentir en sécurité. On ne voulait plus avoir cette crainte-là.»
Un proche resté en Colombie leur a envoyé de l’argent pour qu’ils puissent s’acheter des billets d’avion pour New York. De là, ils se sont rendus à Plattsburgh, avant d’arriver au chemin Roxham en avril 2022.
«C’est sûr que c’était difficile de tout perdre: ma famille, mes proches et ma maison», convient Lina. «Mais ça en vaut vraiment la peine. Maintenant, on sera en sécurité et on n’aura pas les mêmes problèmes qu’on avait en Colombie.»
Lina et sa famille habitent désormais dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville où ils peuvent compter sur le tissu communautaire qui s’organise pour leur venir en aide. C’est le cas de l’organisme Pause Famille, qui les aident à différents niveaux notamment dans leurs démarches juridiques ou d’immigration.
Les demandeurs d’asile sont «des personnes qui ont quitté leur pays et demandent à être protégées de persécutions et de graves atteintes aux droits humains commises dans un autre pays, mais qui n’ont pas encore été reconnues légalement comme des réfugiés et attendent qu’il soit statué sur leur demande d’asile» [source: Amnistie internationale].