Le message est toujours le même pour la Journée mondiale de la prévention du suicide: il faut parler de ses idées noires pour réussir à y voir un peu plus clair. C’est ce qu’a compris Karim* (nom fictif), un informaticien de 58 ans.
En juillet, après une séparation douloureuse, il a essayé de s’enlever la vie deux fois en trois semaines. La seconde tentative a failli l’emporter. «Quand je me suis réveillé à l’hôpital, je ne me souvenais de rien. On m’a appris, qu’à une minute près, j’y passais», raconte-t-il.
Cette nuit-là, après avoir ingurgité un cocktail de médicaments et d’alcool, il publiait sur Facebook une photo accompagnée d’un texte obscur. La publication a attiré l’attention d’un ami qui a appelé les secours.
«C’était inconscient, mais je pense que c’était un appel à l’aide», souligne Karim, avouant qu’il ne voulait parler à personne de ses intentions.
Pandémie
Pour le père de deux enfants, le confinement a été un facteur aggravant. «Je ne rencontrais plus personne, je travaillais à distance et je m’isolais», note-t-il.
Selon le chef de département de psychiatrie du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, dont dépend l’Institut Douglas, la COVID a des conséquences sur les êtres fragiles.
«La pandémie est un facteur de stress. Les personnes réagissent différemment. Elle peut être un déclencheur de dépression», mentionne Dr Gustavo Turecki.
Il n’apparaît toutefois pas que la crise et les mesures sanitaires aient eu un effet sur les appels à l’aide. «Nous recevons en moyenne 74 appels par jours. En avril et mai, nous avons eu une baisse d’environ 10% avant de revenir à la normale», observe le directeur de Suicide action Montréal, Luc Vallerand.
Selon lui, le confinement a surtout poussé à plus d’isolement. «Les gens étaient encore plus hésitants qu’avant la COVID pour demander de l’aide», indique celui qui gère l’organisme qui offre une ligne d’écoute pour les personnes en détresse et leurs proches.
Même son de cloche à l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS) qui regroupe, des organismes ou des citoyens qui agissent pour réduire le nombre de suicide.
«Il peut y avoir des différences d’une région à une autre, mais il n’y a pas eu plus de volume d’appels», assure le directeur général Jérôme Gaudreault.
Aux urgences psychiatriques, l’achalandage n’a pas augmenté non plus. «Les gens ont eu peur de la contamination et ils ont évité les hôpitaux», estime Dr Turecki.
Les données concernant les suicides durant la pandémie risquent d’être connues plus tard.
Reconstruction
«Au réveil, il y a deux sentiments qui se sont mêlés, l’échec et la honte. Je voulais partir et je n’ai pas réussi. Une tentative de suicide est un acte très violent physiquement et surtout mentalement», souligne Karim.
Des séances avec une psychiatre l’aident à mettre des mots sur ce qui lui arrive. «J’ai cherché à retrouver le Karim d’avant et j’ai décidé de ne plus jamais vivre une telle situation», assure-t-il.
Il reconnaît que le soutien des autres a été essentiel dans le travail de reconstruction. «Les gens sont passés très rapidement du choc de la nouvelle à la délicatesse du soutien, précise-t-il. Cela vous revalorise, d’abord à vos propres yeux.»
Moins d’un mois après, il reprenait son emploi de consultant et signait de nouveaux contrats. Ce retour au travail a aussi appuyé sa thérapie.
«Il ne faut pas se leurrer, ça peut arriver à tout le monde. Quand on vit une dépression, il faut en parler. J’étais dans ma bulle et j’ai laissé aller les choses», raconte Karim.
Confier ses états d’âme à ses amis, à ses proches ou à des intervenants est salutaire. Aujourd’hui, Karim apprécie son retour à la vie, même s’il concède que la convalescence est encore longue.
Si, à tout moment, vous ou une personne dans votre entourage avez besoin d’aide, vous pouvez appeler Suicide Action Montréal au 1 866 APPELLE. Des intervenants sont disponibles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept pour vous aider. Vous n’êtes pas seuls.