Bien que la bernache du Canada soit un bel oiseau et qu’elle offre un magnifique spectacle lors de ses déplacements en formation en V, elle cause bien des maux de tête aux arrondissements de Lachine et de LaSalle. L’administration lachinoise vient d’ailleurs de renouveler son entente avec l’entreprise Artémis Faune pour la gestion des populations de cette espèce.
L’enjeu entourant les populations de bernaches du Canada est principalement sanitaire. Dans une publication sur le site de la Ville, on peut lire que chaque oiseau peut produire jusqu’à un kilo d’excréments par jour. «Les bernaches qui sont présentes sur les rives se nourrissent d’herbe et cela occasionne des enjeux de salubrité en raison des déjections au sol qui détériorent les lieux et les rendent moins hospitaliers aux citoyens», écrit l’arrondissement dans un sommaire décisionnel du 4 avril dernier.
En entrevue avec Métro, la directrice générale d’Artémis Faune, Marie-Ève Castonguay, explique que l’aménagement des parcs favorise également leur présence. «Les belles grandes surfaces de pelouse leur permettent d’avoir une bonne alimentation et la présence des humains leur offre une certaine sécurité puisqu’il y a moins de prédateurs comme le coyote ou le loup», dit-elle.
De son côté, Environnement et Changement climatique Canada ajoute sur son site Web que cet oiseau «défend farouchement [ses] sites de nidification et [que] des couples agressifs peuvent parfois causer des blessures, surtout chez les jeunes enfants ou les animaux».
Une croissance exponentielle
Le professeur associé au Département des sciences biologiques de l’UQAM Jean-François Giroux s’est intéressé aux bernaches au cours des dernières années. En observant celles qui se sont installées dans le secteur des îles de Varennes, il a pu remarquer une croissance exponentielle des populations de cette espèce. «En 1992, il y avait trois nids de couple. Dans les dernières années de notre étude qui s’est terminée l’an dernier, nous avons eu jusqu’à 300 couples», décrit-il.
«Souvent, [elles] vont nicher à des endroits où il y a peu de prédateurs naturels et où il n’y a pas de chasse. L’herbe à leur disposition est parfois fertilisée, donc très riche en azote, ce qui est bon pour elles», explique-t-il en précisant qu’elles aiment revenir dans des endroits déjà fréquentés.
Marie-Ève Castonguay précise qu’il s’agit d’une bête qui se reproduit très bien. «Elles ont de grandes familles. On parle parfois de six à dix œufs par année!»
C’est d’ailleurs cette croissance exponentielle qui cause le problème auquel fait face l’arrondissement de Lachine et plusieurs autres localités de la province. «On peut avoir des bernaches sur un terrain, c’est pas ça le problème. C’est leur nombre qui vient créer un impact nuisible», précise la spécialiste.
«Au mois d’avril, on peut en voir cinq, six sur un terrain. Elles ne causeront pas de dommages. C’est quand elles arriveront avec les bébés qui vont débarquer en juin que ça va être problématique. Là, on les voit passer. Après, on n’en entend plus parler en mai parce qu’elles couvent sur leurs nids. Puis, au mois de juin, il y a une éclosion et on voit parfois des groupes avec cinquante bébés et des adultes. Les gens trouvent ça bien mignon, mais rendu en juillet, ils trouvent ça moins mignon quand ils grandissent et que les fientes s’accumulent.
Marie-Ève Castonguay, directrice générale d’Artémis Faune
Relocaliser plutôt qu’éradiquer
Comme il s’agit d’une espèce protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, l’arrondissement indique dans son sommaire décisionnel que les interventions visant à gérer la population des bernaches sur son territoire «ne vise[nt] pas à l’éradiquer», mais plutôt à amener les oiseaux à «se relocaliser naturellement».
«On peut faire de l’aménagement sur les berges, donc augmenter la présence de végétaux en bordure de l’eau pour empêcher l’accès aux parcs aux bernaches, qui sont très visuelles. On peut aussi mettre en place des mesures actives, comme l’utilisation du chien. Dans notre cas, il est spécifiquement entraîné pour les pourchasser sans y toucher. Parce qu’on n’a pas le droit de les blesser selon la loi, mais on peut les pourchasser si elles sont considérées comme nuisibles», explique Mme Castonguay en soulignant que cela recrée l’effet des prédateurs, qui s’est perdu au fil des ans dans les milieux urbains.
Quant à l’idée des barrières, M. Giroux souligne que lors des premières semaines de vie des bébés, ceux-ci ne volent pas, tout comme leurs parents qui sont en période de mue. «Donc, si on garde des barrières naturelles ou artificielles entre eux et les parcs, ça peut aider puisque ça réduira les mouvements.»
«Le but, ce n’est pas d’en arriver à une tolérance zéro. On n’y arrivera jamais. Il faut considérer que c’est de l’entretien. Ça prend des yeux sur le terrain pour suivre la tendance», ajoute la directrice générale d’Artémis Faune. Cette opinion est partagée par M. Giroux, qui affirme «qu’il y aura toujours un problème et un dilemme puisqu’elles seront [dorénavant] toujours présentes».
«La première chose à faire, c’est d’éduquer les gens. Ils aiment beaucoup nourrir les oiseaux, mais il ne faut pas le faire», conclut le professeur de l’UQAM.