Manger québécois est la mode de l’heure. Les organismes, par l’intermédiaire de campagnes de sensibilisation, nous rappellent notre devoir de bon citoyen. Alors que 49 % des Québécois disaient accorder de l’importance à la provenance de leurs aliments en 2004, ils étaient 60 % en 2009, selon un sondage du ministère de l’Agriculture. Mais les produits locaux sont-ils facilement accessibles dans la métropole, loin des champs et des producteurs?
«Ne cherchez pas de fruits et légumes du Québec à ce temps-ci de l’année, madame. Il fait froid au Québec!» lance un vendeur du marché Jean Talon, entre une montagne de tomates et des paniers de fèves vertes, derrière son comptoir.
À l’étal d’à côté, pourtant, en cette même journée d’avril, on trouve une bonne diversité de légumes du Québec, dont des oignons, des poireaux, des carottes, des tomates et des patates. Un autre kiosque, un peu plus loin, vend même des pommes de vergers d’ici. «Certains légumes québécois sont cultivés en serre et d’autres ont été conservés grâce à des méthodes spéciales», raconte une vendeuse en tendant un sac rempli de piments à un client.
«En hiver, c’est certain que la proportion de fruits et de légumes d’ici est moindre dans les marchés, mais il y en a tout de même, explique Isabelle Létourneau, directrice des communications des Marchés publics de Montréal. Durant l’été, les producteurs sont très nombreux. Il y a aussi beaucoup d’autres produits locaux (pain, viande, produits laitiers, fleurs, produits du terroir, etc.) vendus toute l’année dans les marchés», ajoute-t-elle, rappelant que la fonction première des marchés publics est de permettre aux producteurs d’ici de vendre leurs produits.
Les marchés publics sont d’ailleurs de plus en plus populaires depuis quelques années dans la métropole. «Les gens ont l’impression de ne plus savoir d’où viennent leurs aliments, avance Michael Brophy, membre fondateur du groupe Aliments d’ici. On sent qu’il y a un désir de reconstruire un lien avec la terre et nos agriculteurs.»
Moins québécois, les supermarchés
Toutes proportions gardées, les produits locaux se font plus rares dans les grandes chaînes d’alimentation. Bien que 90 % des produits québécois soient vendus dans celles-ci, cela ne représente que le tiers des produits vendus. De plus, selon Isabelle St-Germain, coordonnatrice générale adjointe d’Équi-terre, la variété de ces produits n’est, la plupart du temps, pas très grande.
«Les petits producteurs ont du mal à vendre leurs produits aux grandes chaînes, car ils sont dans l’impossibilité de leur fournir les quantités demandées, déplore Mme St-Germain. Il devrait y avoir une flexibilité de ce côté-là. Les grandes chaînes devraient aussi s’engager à acheter un minimum de produits locaux à l’année.»
Selon un sondage réalisé en avril 2009, 72 % des Québécois estiment que les grandes chaînes devraient favoriser les produits du Québec.
Aux yeux d’Isabelle St-Germain, le minimum qui pourrait être fait est que tous les légumes-racines vendus dans la province soient des produits locaux. «Ces légumes poussent abondamment ici, peuvent aussi être cultivés en serre et se conservent très longtemps», fait-elle valoir.
Tous les intervenants interrogés par Métro s’entendent pour dire que les produits du Québec devraient être mis davantage en vedette dans les supermarchés. «Il devrait y avoir de vraies sections de produits du Québec dans les épiceries, où tous les aliments seraient clairement identifiés», propose la coordonnatrice d’Équiterre.
Une autre déficience est montrée du doigt par tous : même s’il y a eu une amélioration de l’étiquetage dans les dernières années, une grosse lacune persiste encore de ce côté. D’autant plus que, selon un sondage Descarie & Complies réalisé en 2004, les certifications de qualité influencent grandement les consommateurs dans le choix d’un produit, 73 % y accordant de l’importance. Et après la certification biologique, la certification Aliments du Québec est celle qui a le plus de notoriété auprès des Québécois.
Des marchés d’alimentation plus axés sur le local
«Actuellement, distribuer des aliments locaux n’est pas une priorité pour les grandes chaînes d’alimentation, fait valoir Michael Brophy, d’Aliments d’ici. Par contre, il y a d’autres magasins d’alimentation à Montréal qui offrent une bonne diversité de produits locaux», ajoute-t-il.
Le magasin EcollegY, le Club Organic, Équimonde et Le marché des saveurs du Québec en sont quelques bons exemples. De plus, les magasins d’aliments naturels ont souvent un bon choix de produits d’ici, car ils entretiennent des liens directs avec des fermes.
M. Brophy tien à ajouter que manger local ne coûte pas nécessairement plus cher. «Ce que je mange est local ou bio à environ 80 %, et je gagne seulement 11 000 $ par année», précise-t-il.
Des habitudes à changer
Certaines habitudes de consommation doivent être changées afin que les Québécois mangent davantage local. «Les gens devraient apprendre à faire leur épicerie par saison au lieu de le faire par semaine», affirme d’entrée de jeu Michael Brophy, d’Aliments d’ici, qui met quant à lui en pratique cette philosophie.
«Il ne faut pas s’attendre à acheter tous ses aliments au même endroit et au même moment, continue-t-il. Avec les gros supermarchés qui offrent de tout à longueur d’année, les gens ont plutôt pris l’habitude contraire», fait-il remarquer.
Des solutions
M. Brophy propose d’acheter les fruits et légumes en grosses quantités et selon les saisons. Durant le temps des petits fruits, par exemple, il en profite pour en congeler, en sécher ou en faire des confitures. Même chose pour les légumes, qu’il conserve dans un endroit frais, qu’il congèle et qu’il garde dans des pots Masson.
Pour s’approvisionner, outre les marchés d’alimentation et les marchés publics, Équiterre a un programme de distribution de paniers de légumes frais et locaux pendant la saison chaude. Cette année, 354 points de chute seront mis en place partout au Québec. Une distribution de paniers en entreprise sera aussi offerte.
Michael Brophy ajoute que les gens peuvent également s’organiser de petits groupes de covoiturage pour aller s’approvisionner directement dans les fermes. Il raconte aller chercher de cette façon sa farine et ses petits fruits, qu’il s’amuse à cueillir.
Faire pousser ses propres aliments dans un jardin communautaire ou collectif est une autre bonne solution. Enfin, participer à un groupe de cuisine collective peut nous permettre d’apprendre de nouvelles recettes à base de produits locaux.
«Manger plus local demande un peu plus d’efforts personnels, mais ce n’est pas bien difficile, au bout du compte, conclut Michael Brophy. Il faut prendre conscience de ce qu’il y a dans notre assiette et des enjeux qui y sont reliés.»
Pourquoi déja?
Pourquoi encourage-t-on autant les gens à manger local? «Pour les avantages sociaux, économiques et environnementaux que cela comporte, affirme d’emblée Isabelle St-Germain, coordonnatrice générale adjointe d’Équiterre. Ça nous permet aussi de garder nos agriculteurs, de valoriser l’occupation du territoire et de dynamiser la région.»
En 2008, les recettes du marché de la production du Québec s’élevaient à 6,4 G$. La province compte 29 000 exploitants agricoles, et 60 000 personnes travaillent dans ce secteur.
Du point de vue environnemental, manger québécois diminue la pollution occasionnée par le transport des aliments, ajoute Mme St-Germain. Michael Brophy, membre fondateur d’Aliments d’ici, émet cependant un bémol sur ce point. «Les étiquettes Aliments du Québec ne précisent pas d’où, au Québec, proviennent les aliments, fait-il remarquer. Si mes carottes viennent d’Abitibi, c’est un produit du Québec, mais ce produit vient de loin…»