Après avoir connu une croissance spectaculaire pendant la crise sanitaire, OnlyFans – réseau social où des créateur.trice.s vendent du contenu exclusif et souvent sexuel – continue de prospérer. À croire que la pandémie comme l’inflation seraient un terrain fertile pour permettre à la plateforme de se démocratiser.
C’est en effet pendant la pandémie, alors que le confinement nous poussait à chercher des moyens de se désennuyer, qu’OnlyFans a vu son nombre d’utilisateur.trice.s faire un bond, jusqu’à être multiplié par six. Depuis, la plateforme ne cesse d’accueillir de nouveaux.elles créateur.trice.s qui, pour plusieurs, ne sont ni des influenceur.euse.s ni des travailleur.euse.s du sexe de métier, mais monsieur et madame Tout-le-monde, en somme.
Le contexte de forte inflation qu’on connaît depuis plus de deux ans maintenant aurait-il quelque chose à voir là-dedans? «Certainement!» répond l’économiste et professeur à l’Université de Sherbrooke François Delorme.
Le travail du sexe en temps d’inflation
Historiquement, le travail du sexe a toujours connu un regain lorsque surviennent des périodes difficiles sur le plan économique, explique-t-il: «En période de récession, on observe toujours une recrudescence de la prostitution.»
Plus les gens sont dans des situations précaires, plus ils vont se tourner vers d’autres solutions peut-être moins “légitimes”. Et ce n’est pas juste pour arrondir les fins de mois, mais vraiment pour compenser un manque à gagner, pour vivre.
François Delorme, économiste et professeur à l’Université de Sherbrooke
La barrière psychologique serait d’ailleurs moins forte dans le cas du travail du sexe virtuel, croit-il, puisque cela n’implique pas de contact physique et que les créateur.trice.s peuvent en général choisir ce qui sera montré ou non.
Si la hausse du coût de la vie a probablement poussé des personnes lambdas à se partir un compte OnlyFans, le phénomène reste difficile à documenter et à quantifier.
«Ça relève de ce qu’on appelle l’économie souterraine, l’économie qui est sous le radar des statistiques officielles, explique François Delorme. Ça ne veut pas dire que c’est illicite, c’est légal mais c’est souterrain. Quand les gens déclarent ces revenus-là, ils le font généralement en tant que travailleurs autonomes, sans nécessairement spécifier la nature de leur activité.»
Rêve et réalité
OnlyFans peut donc attirer de plus en plus de personnes qui auraient besoin d’un revenu supplémentaire pour faire face à l’inflation, mais s’agit-il d’une solution efficace? En d’autres termes, vendre des photos et vidéos érotiques, voire pornographiques, est-ce vraiment si lucratif que ça?
On parle surtout de ceux qui font beaucoup d’argent, mais c’est difficile de penser que tout le monde pourrait avoir des revenus aussi substantiels. Sur ce type de plateforme, plus on est nombreux, plus les revenus vont être faibles pour la majorité des travailleurs.
Julia Posca, chercheuse en sociologie à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)
Elle indique que, même si le domaine du travail du sexe résiste généralement très bien en période de récession économique, le revenu médian d’un.e créateur.trice de contenu sur OnlyFans ne s’élèverait pas à plus de 180 $ US par mois.
Créatrice de contenu sexuel sur la plateforme, Chloée-Mitsou Fortin, alias Chloee_fitgamer, gagne très bien sa vie, mais elle confirme que ce n’est pas le cas de tout le monde et souligne que cette activité demande beaucoup d’efforts et d’implication. Auparavant enseignante, puis streameuse sur la plateforme Twitch, elle consacre aujourd’hui au moins 30 heures par semaine à alimenter son compte et à échanger avec ses abonné.e.s.
«Sur TikTok et Instagram, on voit parfois des créatrices qui mènent une vie luxueuse et ça peut faire rêver, témoigne-t-elle. Mais chaque fois qu’une jeune femme me demande des conseils pour se lancer, je lui expose aussi les côtés négatifs du métier et je parle du temps et de l’énergie que ça demande.»
Sans compter que dépendre d’une plateforme comme OnlyFans avec un statut de travailleur.euse autonome comporte aussi des risques. «La plateforme prend une commission de 20%, mais ne garantit pas d’avantages sociaux, ni la sécurité de l’emploi. On est un peu à sa merci, puisqu’elle peut décider à tout moment de changer les règles», note Julia Posca.
À l’été 2021, OnlyFans avait d’ailleurs annoncé que tout contenu sexuellement explicite serait désormais banni avant de se rétracter face à la réaction du public et des créateur.rice.s.
Entre empowerment et stigmatisation
L’inflation et les difficultés financières peuvent donc pousser certain.e.s à se lancer dans la vente de contenu sexuel sur OnlyFans, mais la plateforme doit peut-être aussi sa popularité à des buts autres que l’argent.
«Ce que j’ai pu observer chez quelques personnes, c’est ce que ça venait surtout d’une envie d’explorer sa sexualité, de reprendre du pouvoir et tant mieux si ça fait des sous. Pour plusieurs, c’est une manière de jouer sur leur apparence, de choisir comment elles veulent se montrer et se mettre en scène», illustre ainsi la sexologue et chroniqueuse chez Métro Myriam Daguzan Bernier.
«Il y en a aussi qui le font sur Instagram ou d’autres réseaux sociaux plus ouverts, comme Sunroom ou Lips, un site où des femmes queers et non binaires partagent du contenu érotique.»
Si elle constate que l’usage d’OnlyFans pour créer ou consommer du contenu porno est de plus en plus populaire, la sexologue croit par ailleurs que le travail du sexe fait encore l’objet de beaucoup de jugements.
«Il faut avoir conscience que, sur le web, on n’est jamais complètement anonyme et ça peut rapidement déborder, ajoute-t-elle. Je crois que tout le monde gagnerait à être mieux éduqué sur ces sujets. Quand tu consommes de la porno, quelqu’un quelque part est payé pour la produire. Il faut prendre conscience de comment fonctionne cette industrie, autant en tant que consommateur que créateur.»