Deux ans après la plus récente vague de dénonciations au Québec qui a emporté plusieurs personnalités publiques, quelques-unes font des retours fort discutés. Si une partie de la population est prête à les accueillir, qu’en est-il des victimes alléguées?
Julien Lacroix, accusé d’agression et d’inconduite sexuelles par neuf femmes, a annoncé qu’il enregistrera un balado sur une petite scène la semaine prochaine. Les billets se sont vendus en 24 heures et d’autres représentations ont été annoncées.
Maripier Morin, dénoncée par plusieurs personnes pour des commentaires racistes et des inconduites sexuelles, est la tête d’affiche du film Arlette, dont l’affiche et la bande-annonce la mettant en vedette sont sorties ces derniers jours.
Tous deux reçoivent beaucoup d’attention médiatique, ce qui peut avoir un lourd impact sur les personnes qui les ont dénoncés.
Ramener les traumatismes
C’est le cas pour Amélie, nom d’emprunt d’une femme qui a dénoncé une personnalité publique pour agression sexuelle ces dernières années et qui demande l’anonymat pour sa sécurité.
«C’est pas vrai qu’on se couche le soir sans repenser à tout ça, explique-t-elle. Je pense que pour beaucoup de victimes, le simple fait de revoir la personne qui a fait du mal, ça peut causer beaucoup de tort. Moi, je recommence beaucoup de réflexions que je pensais fermées.»
L’avocate Raphaëlle Desvignes, qui fait entre autres de l’accompagnement de victimes d’acte criminel, avertit que les réactions seront différentes d’une personne à l’autre «parce que les besoins ou les façons de se reconstruire peuvent changer du tout au tout». Elle estime cependant que «si tu considères que tu t’es fait agresser par quelqu’un que tu vois dans les médias tout le temps, c’est sûr que c’est un traumatisme qui perdure».
Amélie ajoute que dénoncer une personne est un processus éprouvant, ce qui n’est pas nécessairement compris de tous.tes: «C’est faire un aveu de ta propre faiblesse, de ta vulnérabilité. Un traumatisme, on essaie d’éviter d’y retourner, mais là, il faut foncer dedans. C’est contre-intuitif.»
La quête de visibilité
Pour elle, l’enthousiasme de certain.e.s devant le retour de personnalités dénoncées témoigne d’un manque d’empathie envers les victimes alléguées. Mais c’est surtout la visibilité que les médias donnent aux artistes déchus qu’elle critique.
«Il faut en parler, mais on ne peut pas en parler en étant violent, et je considère que c’est une forme de violence de constamment redonner de la visibilité à ces gens, explique la jeune femme. Surtout quand c’est peut-être la visibilité qui leur a fait perdre la tête, qui leur a fait avoir des comportements comme de l’abus de pouvoir. Ce sont des personnes qui ont montré qu’elles ne savent pas gérer ça.»
En même temps, aborder la question des violences sexuelles permet d’évoluer, croit Me Desvignes. «On est mieux de parler de quelque chose que de ne pas en parler, quitte à ne pas en parler de la meilleure façon, mais tout en espérant apprendre à bien le faire.»
Aux yeux de la victime alléguée, le problème ne vient pas que des médias, mais aussi des institutions qui banalisent encore des comportements violents; il ne faut donc pas s’étonner que le public fasse de même. Sans partager la même vision, Me Desvignes croit elle aussi que les violences sexuelles sont un problème de société né de lacunes dans l’éducation et la socialisation des individus.
Les dépendances
Qu’il s’agisse de Maripier Morin ou de Julien Lacroix, c’est en abordant leurs problèmes de dépendances qu’ils sont revenus sur la scène publique. Amélie et Me Desvignes comprennent toutes les deux que des personnes dénoncées peuvent difficilement revenir sur les faits allégués sans s’incriminer.
«Durant la vague de dénonciations, on s’est mis à renverser le pouvoir que des gens très connus avaient en donnant de la place aux victimes, perçoit Amélie. On dirait qu’ils essaient de reprendre ce rôle-là, comme si c’était glorifiant d’être une victime et que ça excuse des choses.»
L’avocate croit que «c’est la nature humaine que de ne pas vouloir reconnaître ce genre de gestes là», comme il s’agit d’un comportement condamnable «avec un stigma social particulièrement négatif». Il n’est donc pas étonnant que des gens dénoncés cherchent ensuite à attirer la sympathie à leur endroit, selon elle.
Mais les dépendances ne justifient pas les actions posées, insiste Amélie. «Il n’y a rien qui justifie la violence. Rien. Et quand tu en viens à être violent envers les autres, tu as de sérieuses questions à te poser.»