Visite d’appartement ou entretien d’embauche?
BLOGUE – Chercher des appartements à Montréal, c’est comme faire une entrevue pour une job ultra convoitée. Tu fais des pieds et des mains pour l’avoir et tu beurres épais sur ton CV. J’ai même vu certains locataires faire des documents de présentation encore plus beaux que mon propre curriculum vitae. Voyons!
J’étais médusée quand j’ai vu la publication destinée à des propriétaires dans un groupe Facebook dont je suis membre.
Le document PDF était avenant à souhait: photos souriantes, sommaire des compétences locatives, des qualités personnelles (wow, ils font de la poterie), informations de contact en bas, etc. La totale.
Un sourire d’admiration s’est dessiné sur mon visage, bien vite accompagné d’un soupir.
Comment suis-je censée faire face à cette compétition? Est-ce que j’aurais moi aussi dû faire un CV locatif, coudonc?
Faire bonne impression
Il faudrait inventer un LinkedIn du logement pour de vrai. J’exagère à peine. Juste avoir une présentation soignée ne suffit plus: il faut se démarquer constamment des autres. Et c’est ben stressant parfois.
Vous voulez la preuve? On part!
Premièrement, je multiplie sans cesse les courriels, je dois toujours être disponible: après tout, il faut s’essayer sur de multiples offres avant de choisir.
Bien entendu, j’utilise ma plume pour vanter mes nombreuses qualités lors de ce premier contact. Et montrer ce que je peux apporter de différent à l’entreprise que j’essaie de… louer.
«Bonjour, nous sommes un couple calme, sans animaux de compagnie, à la recherche d’un appartement. Nous travaillons tous les deux dans l’industrie de la technologie et de l’information. Nous sommes très intéressés par ce 4 et demie. Une visite serait-elle disponible? Bonne journée! (insertion d’émojis pour me rendre encore plus sympathique)».
Deuxième étape: la visite sur place. J’arrive maquillée et avec une tenue pas trop décontractée. Et pas question d’être en retard, même si on doit contourner le trafic.
Je prépare mes réponses et mes questions dans ma tête. Des phrases qui me font bien paraître. Blagues sympathiques, tout en restant suffisamment «formelle». Je me sens évaluée. Tout doute sur moi doit être évité.
Même si j’ai une réponse pour l’appart de mes rêves, le stress ne s’arrête pas là. Oh non! J’aurai aussi à donner des références et à prier pour être sélectionnée parmi les 15 autres «candidatures» déposées avant moi. Ah, et pas question de prendre trop de temps pour répondre. Sinon, t’es out!
Capital humain
J’aurais dû m’y attendre: après tout, j’effectue une transaction avec des proprios qui peuvent choisir une clientèle selon leurs goûts. Iels ne me doivent rien.
Malgré tout, je ne peux que constater à quel point je n’ai pas le gros bout du bâton ici. Je me sens un petit peu comme un… produit.
Lorsque j’aurai mon appartement, je ne serai, en plus, jamais à l’abri d’une rénoviction.
Mon logement ne viendra pas non plus avec la garantie «zéro hausse de loyer illégale après un an ou on vous rembourse».
J’aurai des droits et un comité de logement, mais je dépendrai aussi de la bonne foi de mon ou ma propriétaire. Et de ses valeurs éthiques.
Des avocat.e.s et des expert.e.s se sont confié.e.s à mon collègue Jules Couturier à ce sujet dans un article publié lundi dernier. Leurs témoignages illustrent bien ce côté pernicieux de l’investissement immobilier.
«Quand quelqu’un veut acheter un immeuble avec des logements à louer, la banque qui prête à l’acheteur considère les locataires comme des sources de revenus et encourage l’acheteur à augmenter leurs loyers», déclarait Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’UQAM.
Une ressource humaine. Est-ce vraiment ce que je suis?
Il est temps de voir les visages derrière les bidous remplissant la grosse tirelire. Car tout ce que je veux, moi, c’est avoir un toit.
Pas gagner le Squid Game de l’immobilier.