Décoder la langue de bois
Avez-vous parfois le sentiment d’écouter parler les politiciens et de ne rien comprendre? C’est fait exprès! Métro vous aide à déchiffrer les signes montrant qu’ils vous mènent en bateau ou, autrement dit, qu’ils empruntent la langue de bois.
«La langue de bois est une façon de parler pour ne rien dire», affirme Yan Plante, ancien conseiller politique d’importants ministres, notamment Philippe Couillard, et aujourd’hui analyste politique et vice-président de l’agence de service-conseil Tact.
Le professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal, Olivier Turbide, va plus loin. Pour lui, c’est «un style d’expression très rigide, très formaté, où on utilise des formules figées, et un langage technocratique difficile à décoder pour le grand public».
«Il s’agit d’un discours préparé, flou, un peu ambigu, qui ne dit ni oui ni non. Il fait en sorte que le journaliste [et le public, NDLR] reçoivent une réponse, mais qu’ils ne savent pas trop quoi en faire.»
Plutôt (mal)commode
La langue de bois peut être utile pour camoufler une réalité, éviter un sujet, s’abstenir de se mettre dans l’embarras, remplir du temps ou ennuyer volontairement un auditoire.
«Souvent, elle est utilisée parce que le politicien est dans une position dans laquelle il ne peut pas donner de réponse», indique M. Plante.
Il y a en effet des informations qui ne peuvent tout simplement pas être révélées.
Parfois aussi, c’est que le politicien ne sait pas comment bien répondre, croit M. Turbide.
«Le fait est que les dossiers, autant sur le plan municipal que sur les plans provincial ou fédéral, sont de plus en plus complexes, possédant de multiples dimensions économiques, sociales et techniques. Les politiciens sont souvent des généralistes, pas de hauts fonctionnaires spécialisés. Ils doivent donc trouver des mots même s’ils maîtrisent mal les dossiers.»
Une manière de contrôler
On vit aujourd’hui dans un monde où l’exposition aux médias est très grande. Les bulletins de nouvelles en continu, les réseaux sociaux alimentés en tout temps, la multiplication des plateformes et l’accélération du cycle des nouvelles accentuent tous cette exposition.
Yan Plante indique que dans cet écosystème, les politiciens emploient la langue de bois pour aborder les sujets qui ne sont pas à l’ordre du jour.
«Lorsqu’un politicien fait une conférence de presse, il a un objectif. Celui de parler d’un sujet précis. Il veut qu’on retienne un message de sa conférence. Des journalistes vont poser des questions sur d’autres sujets, mais lui vise à ce que les extraits utilisés dans les bulletins de nouvelles par la suite soient en lien avec son message du jour.»
«De façon volontaire, il cherche à rendre moins intéressants les extraits sur les autres sujets pour le bulletin de nouvelles. Car on fait le pari que moins de personnes regardent la conférence de presse en direct que le bulletin de nouvelles et que c’est l’extrait le plus intéressant qui va se rendre aux nouvelles.»
Là pour rester
Aussi frustrante qu’elle puisse être pour le public et les journalistes, la langue de bois en politique semble constituer un outil essentiel.
«C’est étrange, parce qu’elle est à la fois honnie et condamnée, mais en même temps elle est une compétence essentielle pour tout politicien qui veut être en mesure de survivre à des conférences, à des crises, pour passer à autre chose», conclut Olivier Turbide.
La langue de bois traduite
Yan Plante connait bien ce type de discours. À titre d’ex-conseiller de premiers ministres du Canada (Stephen Harper) et du Québec (Philippe Couillard) et de chef de cabinet au fédéral, il a lui-même rédigé des textes en langue de bois et il prend maintenant plaisir à l’analyser.
Il a fourni à Métro une liste d’expressions couramment utilisées par nos politiciens, accompagnées de leur traduction pour qu’on comprenne enfin ce qu’ils veulent dire.
Langue de bois | Traduction |
«Je ne commente pas les sondages.» | Je lis tous les sondages, mais comme celui-là démontre que ça va mal, je ne vais quand même pas vous le confirmer publiquement. |
«Le vrai sondage c’est le jour de l’élection.» | Quand le politicien tire de l’arrière: «Vous êtes tannants avec vos sondages, on fait tout en notre possible pour les faire mentir le jour du vote.» Quand le politicien est en avance: «Voulez-vous bien ne pas trop donner de raisons à mes électeurs de ne pas sortir voter s’il vous plaît? La course est serrée et chaque vote compte.» |
«Nous allons respecter la capacité de payer des contribuables.» | Ce projet-là ne m’intéresse pas vraiment, mais je n’ai aucun intérêt politique à le dire franchement. |
«Nous sommes ouverts à la possibilité d’analyser la faisabilité de…» | Ça ne se fera jamais. |
«La classe moyenne» | Comme je sais qu’à la maison vous vous considérez comme faisant partie de la classe moyenne, je ne vais pas la définir. |
«Faire payer les riches» | Comme je sais qu’à la maison, vous ne vous estimez pas riches, je ne vais pas non plus définir ce qu’est un riche. |
«J’entends ce que vous me dites.» | J’entends, mais je ne changerai pas d’idée. OU J’entends, mais je n’écoute pas. |
«On ne change pas la date, c’est un nouveau calendrier.» | Je suis trop orgueilleux pour vous confirmer qu’on change la date, donc je vous dis que c’est tout simplement un nouvel échéancier. |
3 signaux
L’analyste politique fournit également quelques signes à observer pour détecter qu’un politicien emprunte la langue de bois.
- Un politicien qui répète sans cesse le même message à la même question répétée par différents journalistes, sans vraiment y répondre.
- Un politicien qui prend un grand détour pour répondre sans vraiment répondre à une question de type «oui ou non» ou encore «pour ou contre».
- Le langage non verbal du politicien qui trahit le fait qu’il n’a vraiment pas envie de répondre à la question.