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Rencontre avec Pierre Rabhi: Devenir intelligent ou disparaître

Philosophe, humaniste, auteur et pionnier de l’agriculture biologique en France, Pierre Rabhi est en tournée au Québec pour partager sa vision de l’humain et de la nature. Depuis plus de 50 ans, ce Français d’origine algérienne regarde notre planète dépérir et propose des solutions pour qu’il en aille autrement.

Il est un expert reconnu internationalement dans les domaines de la sécurité et de la salubrité alimentaires ainsi que dans celui de la lutte contre la désertification. Entrevue avec un militant qui demande aux consciences de s’insurger.

Vous prononcerez demain une conférence qui s’intitule «Réconcilier l’humain et la nature». Pourquoi doit-on se réconcilier avec la nature?
Parce qu’on a plus l’impression de lui faire la guerre que d’être concilié avec elle. Et cette problématique m’avait frappé dès les années 1950, alors que j’étais ouvrier agricole. J’ai vu comment on traitait la terre avec l’agriculture conventionnelle, le recours à la chimie de synthèse et à la mécanisation. On ne peut pas empoisonner la nature et lui demander de nous nourrir, c’est une contradiction de fait. J’ai alors commencé à comprendre que l’on devait se réconcilier avec la vie et la nature. J’ai étudié l’agriculture biologique et je me suis aperçu qu’il y avait moyen de cultiver la terre sans l’empoissonner, et même en l’améliorant.

Plusieurs personnes croient qu’on ne peut pas nourrir 6,5 milliards de personnes en ayant recours seulement à l’agriculture biologique? Que répondez-vous à cela?
Ça n’a pas de sens. On a quand même démontré qu’on est capable de multiplier les rendements. En Afrique, on a mis au point des systèmes qui multipliaient les rendements par quatre, cinq. Alors non, qu’on ne dise pas ça. L’agriculture chimique a eu quelques décennies pour démontrer qu’elle était capable de nourrir l’humanité. Est-ce qu’elle l’a fait? Pas du tout. Elle a même aggravé la question alimentaire. Quand vous imposez l’agriculture la plus dispendieuse que l’agronomie ait connue – où il vous faut 10 calories d’énergie pour produire une calorie alimentaire – dans les pays pauvres, vous aggravez le problème. Au nord, vous avez une agriculture subventionnée qui entre en compétition avec celle du sud. Il est très simple de comprendre que cette concurrence a affamé la plupart des populations du sud.

En ville, comment fait-on pour retrouver ce contact avec la terre?
Avec les villes, on a créé des civilisations hors sol, confiné dans un monde minéral. Il y a ici et là des tentatives pour rapprocher les urbains de la nature, mais je crois que ce sont des palliatifs. De mon point de vue, on accepte d’être incarcéré et on fait entrer un peu de nature pour se faire croire qu’on ne l’est pas. Mais pour moi, la nature est fondamentale. Nous sommes des êtres de nature. À partir de là on organise la vie sur la base de notre intégration à la nature et non pas seulement intégrer la nature dans la ville.

Vous appelez aussi les gens à vivre autrement. En quoi devrions-nous vivre autrement?
Il faut revenir à une simplicité de vivre. Moi, j’appelle ça la sobriété heureuse; d’autres appellent ça la simplicité volontaire. Notre planète est naturellement limitée et ne peut pas reproduire les ressources au rythme où les prélève un quart de l’humanité au détriment du reste de l’humanité. Donc, la notion d’autolimitation me paraît fondamentale. Le jour où on accepte d’être dans cette sobriété, c’est d’abord une désaliénation de la personne humaine, parce qu’aujourd’hui on travaille beaucoup pour acquérir des choses. L’acte d’autolimitation en est un de libération et de réalisme.

Les gens veulent-ils vivre autrement?
Malheureusement, si ça ne se fait pas avec intelligence, ça se fera violemment. Parce qu’on ne peut pas continuer à vivre comme ça. Le modèle est non seulement au bout, mais il est de plus en plus destructeur. C’est le temps qu’on change de paradigme.

Êtes-vous optimiste?
Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. J’accepte la réalité. Aujourd’hui, l’humanité est surinformée sur les transgressions qu’elle a faites et les malheurs qu’elle cause sur notre planète. C’est à elle à être intelligente; sinon, elle disparaîtra. L’hypothèse négative, c’est que l’humanité ne prendra pas conscience et s’éradiquera elle-même. Et l’hypothèse positive, c’est qu’il y aura un sursaut de conscience pour comprendre que nous n’avons plus le choix de changer. C’est changer ou disparaître. La seule chose sur laquelle je peux quelque chose, c’est ma cohérence propre et les gestes que je pose.

Si on regarde objectivement, nous sommes une catastrophe naturelle, mais d’un autre côté j’ai du mal à croire que nous ne sommes que ça. Ce qui me porte à me demander quelle est notre finalité ici-bas?

Vous vous êtes présenté en 2002 aux élections présidentielles en France avec le slogan «Appel à l’insurection des consciences». Quel était votre programme?
Pour moi c’était l’opportunité d’une écoute nationale pour mettre en avant l’urgence écologique et humaine. Le résultat a été extraordinaire parce qu’en trois mois, on a collecté 184 signatures d’élus, on a mobilisé des milliers de gens sur un programme qui était atypique. On parlait du féminin au cÅ“ur du changement, de l’éducation des enfants et de la décroissance. Avec la décroissance, on se demandait comment mettre l’humain et la nature au cÅ“ur de nos préoccupations et non pas la croissance économique infinie. On s’en foutait que les gens soient de droite ou de gauche, on était dans l’humanisme intégral.

Vous avez donc pu rejoindre des gens qui n’auraient pas nécessairement tendu l’oreille à vos idées autrement?
L’écoute a augmenté et aujourd’hui ma «cote» est en augmentation continue. Le laxisme aidant, les gens se questionnent plus, leurs aspirations sont en train de changer notamment au niveau du sens et du bonheur. De plus en plus, les gens ne veulent plus réussir uniquement leur carrière, ils veulent réussir leur vie. De se rendre compte de ça est un progrès énorme. 

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