De minuscules résidus de plastique menacent les huîtres canadiennes
Valérie Langlois, Institut national de la recherche scientifique (INRS) and Marc Lebordais, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Notre usage quotidien de produits à base de plastique a des conséquences directes sur la santé des espèces animales. On estime qu’environ 1 % des déchets de plastique se retrouvent dans les environnements aquatique et terrestre et ont un impact sur la faune et la flore sauvages.
Parmi eux, les huîtres, des mollusques marins qui se retrouvent à plusieurs endroits dans le monde, ainsi que dans nos assiettes.
En collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de l’Université de Bordeaux, en France, notre équipe de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a mené des recherches pour mieux connaître quels étaient les effets combinés de différents contaminants sur les huîtres.
Nous savions déjà que les nanoplastiques ont un impact sur la reproduction des huîtres creuses. Or, au terme de ces travaux, nous avons pu démontrer que les effets individuels et combinés des nanoplastiques et de l’arsenic sur les huîtres affectaient aussi leurs fonctions vitales. Nous avons publié le fruit de nos recherches dans les revues scientifiques Chemosphere et Nanomaterials.
En tant que titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en Écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne, je m’intéresse aux impacts de ces contaminants sur les animaux depuis 2005 et mon co-auteur-étudiant, depuis 2018.
L’huître canadienne plus affectée
Les nanoplastiques, des morceaux de plastique inférieurs au millième de millimètre, proviennent en grande partie de la dégradation des déchets plastiques rejetés dans l’environnement. Ils incluent également des nanobilles de plastique qui composent certains produits de consommation et qui se retrouvent ensuite dans les milieux naturels.
Ces nanoparticules de plastique ont la propriété d’accumuler sur leur surface divers contaminants retrouvés dans l’environnement. Elles peuvent ainsi être des vecteurs et devenir une source de contamination additionnelle pour les organismes. Car ces contaminants se dissocient éventuellement des nanoplastiques pour ensuite être absorbés par les organismes aquatiques qui les ont ingérés et s’accumuler dans leurs organes internes.
Ainsi, l’arsenic, un contaminant métallique, a été le plus abondamment mesuré sur les débris de plastique prélevés par notre équipe sur les plages de la Guadeloupe. Il a donc été sélectionné pour nos études.
Comme les huîtres accumulent facilement les métaux par leur alimentation, nous avons exposé ces dernières à une concentration d’arsenic qu’on peut retrouver dans l’environnement. Effectivement, de hautes concentrations d’arsenic ont été mesurées chez les mollusques exposés. Elles demeuraient toutefois plus élevées dans les branchies de l’huître canadienne Crassostrea virginica que dans celles de l’huître Isognomon alatus, retrouvée en Guadeloupe.
Ces résultats sont les premiers à mettre en lumière la différence de sensibilité des espèces d’huîtres à l’arsenic.
Nous voulions également tester si l’exposition combinée des nanoplastiques et de l’arsenic augmenterait l’accumulation de ce métal dans les mollusques. Heureusement, ce ne fut pas le cas. La bioaccumulation de l’arsenic n’augmentait pas avec la présence de ces nanoparticules.
Effets sur les fonctions vitales des huîtres
C’est en contaminant les algues consommées par les huîtres avec trois types de nanoplastiques que nous avons testé si ces derniers pouvaient causer des problèmes à leur santé.
Les nanoplastiques étudiés étaient des particules de polystyrène carboxylé synthétisées sans additifs, des particules broyées de polystyrène vierge et des plastiques souillés. Ces dernières ont été récupérées sur les plages de la Guadeloupe, puis broyées.
Parmi ces trois types de plastiques, les nanoplastiques sans additifs (qui sont utilisés dans les détergents et biocides) étaient les plus toxiques. Nos travaux ont révélé qu’en l’absence d’additifs, ces nanoplastiques très stables étaient, malgré tout, ceux montrant le plus d’effets, et ce, de manière constante entre les huîtres canadiennes et guadeloupéennes.
À la suite de l’exposition, nous avons observé chez l’huître canadienne une augmentation de l’expression des gènes responsables de la mort programmée des cellules et du nombre de mitochondries — centrales énergétiques de la cellule. Chez l’huître de la Guadeloupe, les changements d’expression de ces gènes d’intérêt étaient moins prononcés, mais suggéraient tout de même une diminution de la réactivité individuelle des deux types de contaminants une fois combinés.
L’exposition combinée des nanoplastiques avec l’arsenic a révélé des effets contrastés entre nos deux espèces d’huîtres. L’interaction complexe de ces contaminants pouvait diminuer leurs effets individuels sur l’expression de gènes, par exemple, dans la régulation du stress oxydatif, soit des agressions causées par des molécules dérivant de l’oxygène aux cellules de notre corps. À l’inverse, leur interaction pouvait les amplifier, comme pour la production de mitochondries.
De plus en plus, les chercheuses et chercheurs utilisent ces outils en biologie moléculaire pour s’interroger sur les effets des contaminants environnementaux chez les animaux, et ce, même à basses concentrations de pollution. Il est important de développer des techniques ultrasensibles qui nous avertissent lorsqu’un contaminant affecte, en temps réel, la santé des écosystèmes. Il ne faut pas attendre d’arriver à des concentrations de polluants qui causeraient des effets irréversibles sur leur santé.
Dans la chaîne alimentaire
Après avoir caractérisé les effets moléculaires des nanoplastiques chez les huîtres, la prochaine étape serait d’étudier leur transfert dans la chaîne alimentaire.
Des outils d’analyse sont à ce jour en plein essor pour réussir à quantifier la présence de nanoplastiques dans les tissus biologiques, par exemple l’analyse par pyrolyse couplée à un GCMS qui s’avère prometteuse. Cette technique d’analyse chimique repose sur une altération massive par la chaleur.
Connaître la quantité de particules dans les huîtres d’élevage et sauvages est donc actuellement un enjeu technique, mais qui sera sans doute résolu dans les années à venir.
Valérie Langlois, Professor/Professeure titulaire, Institut national de la recherche scientifique (INRS) and Marc Lebordais, , Institut national de la recherche scientifique (INRS)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.