Abolir les stages non rémunérés?
Main-d’œuvre à bon marché ou occasion réelle d’apprentissage sur le terrain? Devrait-on empêcher les entreprises d’offrir des stages non rémunérés aux étudiants?
La crise économique de 2008-2009 a durement touché les jeunes. Face à un marché du travail devenu plus compétitif, nombre d’entre eux se sont tournés vers les stages, y compris les stages non rémunérés, pour enrichir leur CV et développer leur réseau.
Certaines entreprises ont bien compris l’avantage qu’elles pouvaient tirer de cette situation et proposent des stages qui relèvent davantage de l’exploitation d’une main-d’œuvre pas chère que de la formation pédagogique.
Mobilisation
Ce phénomène touche de nombreux pays. Aux États-Unis, c’est surtout la parution du livre Intern Nation, de Ross Perlin, en 2012, qui a soulevé la question de l’abus des stages bénévoles. Puis, certains stagiaires se sont révoltés contre les pratiques des entreprises. Deux d’entre eux ont gagné, en 2013, le procès qu’ils avaient intenté à la société de production de films Searchlight. L’entreprise ne les avait pas rémunérés alors que des tâches qu’ils devaient accomplir étaient normalement effectuées par des salariés. D’autres jeunes travailleurs se sont également tournés vers les tribunaux pour attaquer de grandes entreprises comme Sony et l’éditeur de magazines Condé Nast. Ce dernier a d’ailleurs décidé l’an dernier de supprimer son programme de stages. Une mobilisation qui porte ses fruits pour Ross Perlin. «Je pense que nous sommes en train d’assister au début de la fin des stages non rémunérés dans le secteur à but lucratif», a-t-il déclaré dans un article du Boston Globe publié en janvier.
En France, le collectif
Génération Précaire a estimé à 1,5 million le nombre de stagiaires en 2010. Face à ces abus, les députés ont statué au début de l’année en faveur d’une rémunération mensuelle de 436 euros (660$) obligatoire pour les stages d’une durée supérieure à 2 mois.
[pullquote]
Le pour et le contre
Aucune loi n’a été votée pour le moment au Canada. Le débat sur la question des stages non rémunérés est pourtant lancé.
The Canadian Intern Association publie sur son site un mur de la honte, qui épingle les offres de stages abusives. Les universités, qui délivrent les conventions de stage, sont partagées. À la faculté de design de l’UQAM, par exemple, les décisions se prennent au cas par cas. «C’est difficile d’avoir une position ferme pour tous les cas, indique Céline Poisson, directrice de deux programmes d’études supérieures de la faculté. Les étudiants eux-mêmes n’ont pas de position ferme!»
La faculté n’a pas décidé d’interdire les stages non rémunérés; elle valide le stage avant tout pour sa pertinence pédagogique. «Ça couperait des possibilités aux étudiants, mais c’est sûr qu’on veut éviter le cheap labor», précise la directrice, qui a déjà été contactée par des gens qui étaient surtout intéressés par le fait d’avoir accès à des employés travaillant pour rien.
Abolir les stages non rémunérés pourrait faciliter la recherche d’emploi des jeunes diplômés en obligeant les employeurs à les recruter au lieu de leur faire faire du travail gratuitement. Mais cela pourrait pénaliser ces jeunes pour qui les stages sont une occasion de développer des compétences, un portfolio ainsi que des connaissances plus pratiques que celles apprises à l’école. De façon générale, les stages permettent aussi de se constituer un réseau et des références utiles pour de futures recherches d’emploi. Ils leur donnent enfin la possibilité de faire l’essai d’un métier et d’affiner leur projet professionnel.