LETTRE OUVERTE – Un autre chapitre de la longue et pénible saga de la Covid s’amorcera aujourd’hui, lundi le 17 janvier. Si cette date, qui coïncidera avec le retour en classe et la suspension du couvre-feu, suscite sans trop de surprise un sentiment de déjà-vu chez certains, il semblerait que nous soyons en mesure cette fois d’espérer une tout autre suite des choses. En effet, un nombre important de scientifiques sont persuadés que le virus, après les quelques mutations qu’il s’est généreusement offert, a maintenant atteint son plafond de virulence.
Cette conjoncture, mêlée à une baisse considérable de l’appui aux mesures sanitaires au sein de la population québécoise, révèle un horizon nouveau. Se pourrait-il alors que dans les prochains mois, on soulève enfin l’inévitable question de «l’après-Covid»?
Évidemment, l’heure des bilans n’a pas encore sonné et le virus, qui se propage à une vitesse folle, n’est toujours pas derrière nous. Mais puisqu’il se peut justement qu’il ne nous tourne jamais le dos, il serait grand temps d’entamer ce vaste exercice de réflexion qui consistera à réinventer modestement la vie.
On le sait, le gouvernement de François Legault s’est fondé sur le principe du pragmatisme. Doctrine retenant le tangible et le concret comme conditions incontournables de la vérité, le pragmatisme obsède François Legault depuis plus de dix ans et s’est manifesté de façon très évidente au cours des 22 derniers mois. Le gouvernement québécois, comme la majorité des autres administrations dans le monde d’ailleurs, a rapidement circonscrit le champ de l’action politique au terrain de prédilection des sciences médicale, épidémiologique et mathématique. Si cette influence commence à peine à s’essouffler près de deux ans plus tard, on constate déjà depuis un moment que la crise sanitaire a marqué une rupture dans notre conception de la vie, celle-ci désormais dictée par une forme inquiétante d’absolutisme scientiste.
Parmi l’ensemble des problématiques qui seront soulevées dans les prochaines années, voire peut-être lors de la prochaine campagne électorale dans moins d’un an, il ne fait aucun doute que le financement du système de santé s’imposera. Néanmoins, oserons-nous poser aussi la question importante de la place peut-être hégémonique des sciences dites pures dans la gestion de ce genre de crises? Sans que l’entreprise soit bêtement récupérée par des formations politiques passagères flairant simplement l’opportunité, oserons-nous livrer un procès intransigeant à ces sciences dites pures, qui regardent de haut les sciences sociales depuis si longtemps, et qui se sont souvent contredites et trompées dans les derniers mois ? Oserons-nous entreprendre le complexe calcul du coût économique et social de cette crise sanitaire marquée par l’isolement? En continuant de placer la compassion – qui est chère aux Québécois – au cœur de nos préoccupations, oserons-nous nous demander s’il est sage, raisonnable et juste de sauver tous les malades des prochaines épidémies, et ce, à n’importe quel prix?
Pour ce faire, il faudra que les historiens, les sociologues, mais aussi les philosophes et les artistes reviennent d’exil là, où au nom d’un pragmatisme dépassé par les événements, on leur a assigné une fonction silencieuse.
C’est Michel Houellebecq qui l’écrit dans son tout dernier roman anéantir. S’il est évident que l’on doit saluer l’apport et les progrès de la médecine, celle-ci responsable en grande partie du confort de notre existence au 21e siècle, «une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre, et en particulier de vivre ensemble.»
Régénérer les raisons de vivre et réparer le vivre-ensemble, voilà une importante expédition qui ne saurait se passer de ceux à qui l’on prête, trop souvent à tort, ce faible pour le pelletage des nuages.
Rémi Villemure