L’agence StatCan a confirmé ce que la plupart d’entre nous savaient déjà: le Canada a de plus en plus faim.
Selon une enquête menée par l’agence fédérale en mai, près d’un Canadien sur sept (14,6%) a indiqué vivre dans un ménage qui a connu l’insécurité alimentaire au cours du dernier mois.
En 2017-2018, c’était 10,5%. Cela signifie que depuis deux ans, près de 512 000 ménages de plus au Canada vivent dans l’insécurité alimentaire. Cela représente plus que le nombre de familles dans la ville d’Ottawa.
Les résultats de Statistique Canada concordent avec ceux d’une autre enquête menée récemment par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, qui indiquait que 61% des Canadiens estimaient avoir suffisamment de nourriture et ne considéraient pas l’accès à la nourriture comme un problème.
La nourriture abordable, un défi au Canada
L’an dernier, ce même sentiment atteignait 72,6% des sondés. Dans cet ordre d’idées, l’Alberta a connu la plus forte baisse entre les deux périodes, avec 21,2%.
Le Québec se situe à peu près dans la moyenne, avec une baisse de 13%. Depuis à peine un an, plus de 4,1 millions de Canadiens considèrent maintenant qu’accéder à une nourriture abordable représente un défi. Ce sont des chiffres ahurissants. Et fort probablement que la situation empirera une fois que cette foutue pandémiese terminera.
La plupart des sondages continueront probablement de faire état d’un paysage canadien avec une sécurité alimentaire en évolution. L’automne nous donnera probablement une meilleure idée du nombre de ménages canadiens qui se sentiront en situation d’insécurité alimentaire pendant un certain temps. L’hyper sentiment de sécurité alimentaire s’explique en grande partie par le fait que plusieurs ont perdu leur emploi et font face à un avenir débordant d’incertitude. Au-delà de huit millions de Canadiens ont demandé la prestation canadienne d’urgence, et ce programme prendra fin à terme. Jusqu’à présent, plus de 52 milliards de dollars ont été versés aux Canadiens. Cette somme surpasse le budget consacré aux services de santé du Québec.
Les prix des aliments risquent d’aggraver la situation. Le taux d’inflation alimentaire actuel se situe à 3,4% et pourrait atteindre 4% d’ici la fin de l’année. L’inflation alimentaire devrait dépasser son point idéal, qui se situe généralement entre 1,5% et 2,5%. Les coûts de production, de transformation et de distribution augmentent et se combinent aux autres facteurs pour faire grimper les coûts, tels que la distanciation physique, le roulement du personnel, la formation, les équipes en double, l’utilisation d’équipements de protection individuelle, les modifications d’équipement et l’augmentation de l’automatisation. Pour acheminer des produits alimentaires sur le marché, les entreprises de la chaîne d’approvisionnement devront facturer davantage, point final.
Les épiciers hésitent peut-être à répercuter ces coûts sur les consommateurs, mais ils devront s’y résigner. On suppose généralement que les entreprises de la chaîne alimentaire sont confrontées à la distribution commune des chocs idiosyncratiques.
En d’autres termes, les entreprises alimentaires devraient être symétriques et capables d’absorber les changements du marché de la même manière. Ce n’est pas tout à fait exact, car la COVID-19 a changé tout cela en affectant l’ensemble du système de
la même manière, en même temps. Dans ce contexte, les entreprises seront très symétriques et les épiciers le savent.
Certains analystes prédisent que la période déflationniste sera de courte durée et que les prix devraient retrouver leur rythme inflationniste d’ici quelques mois. Pour ramener les gens au travail, et mettre plus d’argent dans l’économie, nous avons tous besoin d’un taux d’inflation décent. C’est le seul moyen de faire en sorte que le Canada se sente moins en situation d’insécurité alimentaire.
Dr Sylvain Charlebois, professeur chez AGRI-FOOD ANALYTICS LAB