Joe Grass transporte avec «Falcon’s Heart»
En parallèle de ses collaborations remarquables avec Elisapie, Patrick Watson ou The Barr Brothers, l’auteur-compositeur-interprète Joe Grass crée également en solo. Le musicien prolifique a lancé vendredi un quatrième album feutré, Falcon’s Heart, qui, dès la pedal steel enivrante de Spoon, nous transporte en territoire americana porteur d’arrangements vaporeux raffinés.
L’on retrouve sa belle voix basse, réconfortante, émouvante (pensons à E. Absolute), à laquelle se joignent par moments celles de Katie Moore, Brad Barr et Erika Angell, du groupe Thus Owls.
Le ciel tendant vers la brunante et la rivière paisible bordée d’arbres de la pochette (une peinture de Sean William Randall) évoquent les ambiances atmosphériques de l’album folk-rock aux influences country. Mais la voiture traversant l’azur crépusculaire telle une météorite, elle, évoque la part d’humour qu’injecte Joe dans ses textes afin d’en balancer les émotions.
« Je ne veux pas lire les pages d’un diary », dit le multi-instrumentiste en entrevue avec Métro au café Ferlucci, dans Villeray, sous un soleil radieux. En témoigne la subtilisé de Touch the Void, un hommage à son défunt père adoré, féru de jazz, d’où le saxophone qui s’estompe en finale de la pièce clôturant l’album paru chez Simone Records.
Une chanson par jour
Les nouvelles compositions de Falcon’s Heart ont pris leur envol en pandémie, alors que les tournées étaient interrompues. Chaque jour, Joe Grass écrivait et jouait dans son studio la matinée durant, « sans se censurer, pour le plaisir, sans tenter de créer quelque chose de révolutionnaire », relate le résident d’Ahuntsic.
Le père d’un jeune enfant composait en un jet rapide une chanson par séance, laissant jaillir dans leur plus simple expression paroles et mélodie, un processus d’écriture dépouillé que l’on peut associer à la musique country. La page Instagram de Joe Grass abonde par ailleurs de vidéos de lui expérimentant en studio.
« Je me suis inspiré du genre de musique qui me touche, simple, sur laquelle j’ai grandi », explique celui qui cite George Jones et John Prine parmi ses inspirations.
Si au terme d’une séance, il n’avait pas terminé une chanson, il la laissait tomber — une nouvelle émergerait le lendemain. Ont ainsi vu le jour une cinquantaine de pièces, dont « beaucoup sont allées à la poubelle, parce que c’était affreux, pas écoutable », pouffe le musicien originaire de Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Il s’est ensuite attelé à « déconstruire » ses nouvelles compositions, les réécrivant et les remaniant complètement, leur apposant des textures. Un processus antagonique à ce qu’il faisait auparavant, soit créer à partir d’un timbre, d’une harmonie ou d’une texture.
Joe a convié ses amis à étoffer avec lui cet univers naissant, improvisant à la guitare à pédale, aux flûtes, à la clarinette basse et autre violon alto. « Des choses ont fonctionné, d’autres, non, mais il faut essayer plein de choses », estime le compositeur, qui tient à solliciter l’avis de ses complices évoluant dans différentes scènes musicales : country, bluegrass, musique contemporaine…
« Parce que quand tu es tellement proche de tes chansons, tu ne sais plus ce qui est bon. Eux te donnent du constructive criticism. »
Collaborateur prisé
Si plusieurs années s’écoulent entre les albums solo de Joe Grass — son précédent, The Rest Will Disappear, remonte à 2016 —, c’est qu’il est l’un des collaborateurs les plus prisés de la scène musicale montréalaise.
Ces dernières années, il a notamment coréalisé The Ballad of the Runaway Girl d’Elisapie, album qui s’est hissé sur la courte liste du prestigieux prix Polaris en 2019. Et il a renouvelé l’expérience avec l’artiste innue, puisqu’il a réalisé son prochain opus Inuktitut, qui sortira le 15 septembre. Il a de plus contribué à l’écriture et aux arrangements des albums Love Songs for Robots et Wave de son ami de longue date Patrick Watson.
Sans compter qu’il a formé avec Samuel Joly et François Lafontaine le groupe de rock alternatif Klaus, qui a sorti un album homonyme en 2018. Peut-on d’ailleurs espérer un successeur l’un de ces jours? « Quelque chose dans la veine de ça », répond Joe, préservant le mystère. « Pas exactement la même chose, mais on travaille sur quelque chose. »
Même si son nom n’apparaît pas en grosses lettres sur les albums des autres, celui qui écrit depuis qu’il a 15 ans collabore souvent étroitement aux textes. Et lorsqu’il n’est pas en train d’écrire avec d’autres, eh bien, il le fait pour lui, et les idées s’accumulent.
Maintenant que Falcon’s Heart peut atterrir délicatement dans les oreilles — et le cœur, gage-t-on — des adeptes de folk, Joe Grass s’est déjà envolé vers d’autres cieux créatifs, dont le prochain opus de la joueuse de banjo native de Montréal Kaia Kater, aujourd’hui établie à New York.
Et il a déjà apporté des changements ici et là à ses toutes nouvelles chansons en vue de la scène, chansons qui résonneront notamment le 4 juillet au Festival international de jazz de Montréal. Comme quoi sa musique constitue un éternel « work in progress », observe-t-il.
Quant à la suite des choses, outre continuer à collaborer avec des artistes qui l’inspirent et laisser aller sa créativité, Joe Grass désire avoir le luxe de toujours pouvoir « prendre le temps » de créer. « Tout bouge tellement vite, j’aimerais trouver des façons de bouger un peu plus lentement, tout en restant efficace », conclut-il paisiblement.