Rébecca Déraspe, le fleuve, la vie et la mort
Après un automne prolifique, la dramaturge Rébecca Déraspe est déjà de retour avec une autre pièce. Les filles du Saint-Laurent, enfin présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui après avoir été à l’affiche au théâtre parisien de la Colline, met en scène une distribution presque toute féminine, dont le fleuve, qui devient un personnage en soi.
C’est ce cours d’eau qui recrache sept corps – une image qui nous renvoie tristement à l’actualité des derniers jours. Neuf personnages, dont huit femmes, retrouvent tour à tour, par hasard, ces cadavres non identifiés. Sous le choc, chacun est confronté à sa propre existence, comme poussé par un souffle de vie.
«Le fleuve, c’est la vie et la mort», lance l’autrice en entrevue avec Métro. Si l’eau est source de vie, elle a aussi une force destructrice, une puissance meurtrière. «Il y a la vie et la mort dans la pièce. C’est un texte qui a été écrit pendant la pandémie, où il y avait ce rapport soudain à la mort qu’on avait en pleine face.»
Le Saint-Laurent est une femme
C’est la comédienne Elkahna Talbi, également établie comme artiste de spoken word sous son pseudonyme Queen Ka, qui interprète le Saint-Laurent, le cours d’eau étant ici incarné d’une manière très physique.
«J’avais ce désir d’aller chercher chez elle cette espèce de verve extrêmement habile», raconte Rébecca Déraspe, qui a été applaudie ces derniers mois pour Les Glaces à la Licorne, Féministe pour homme à l’Usine C et La nuit des rois au Théâtre du Nouveau Monde.
Le fleuve, ou Elkahna, est en dialogue avec l’une des femmes de la pièce, Rose, personnage incarné par Louise Laprade qui a connu un grand amour pendant son adolescence. Mais cet amour est parti un jour sur un bateau de pêche et n’est jamais revenu. «Ça fait 60 ans qu’elle parle au fleuve et qu’elle est en tabarnak contre lui.»
Originaire de Rivière-du-Loup, Rébecca Déraspe, qui a écrit la pièce en collaboration avec Annick Lefebvre, vit elle-même une relation d’une grande proximité avec le Saint-Laurent.
«Pour moi, le fleuve, c’est un interlocuteur, c’est la projection de mes espoirs, confie-t-elle. Je demande au fleuve de réaliser mes rêves, je suis vraiment en dialogue avec lui. C’est un espace important dans ma géographie personnelle.»
Féministe dans l’âme
Les Glaces, qui portait sur une histoire de viol, et Féministe pour homme, un monologue revendicateur, sont très clairement des pièces féministes. Quand c’est dans le titre, ça porte difficilement à confusion!
C’est cependant plus subtil pour Les filles du Saint-Laurent. «Je pense que le processus est féministe, mais ce n’est pas le sujet du spectacle. Reste que, pour moi, ce n’est pas anodin de voir autant d’actrices sur scène d’âges différents», avance Rébecca Déraspe, qui commence par ailleurs l’écriture de l’adaptation cinématographie de sa pièce Ceux qui se sont évaporés.
En plus de Louise Laprade et Elkahna Talbi, on retrouve sur scène Zoé Boudou, Annie Darisse, Marie-Thérèse Fortin, Gabrielle Lessard, Marie-Ève Milot, Émilie Monnet, Catherine Trudeau et Tatiana Zinga Botao. Le seul homme est incarné par Ariel Ifergan.
«On prend parole, bien sûr, en faisant ce geste, poursuit la dramaturge en rappelant que la mise en scène est également signée par une femme, Alexia Bürger. Ce sont aussi des femmes qui vivent des situations reliées à la condition féminine.»
N’empêche que le thème de la pièce, ce n’est pas le féminisme ou la condition féminine, mais plutôt l’importance «de vivre pendant qu’on est en vie.»
«Le fait de croiser la mort va réveiller les personnages, les ressaisir. S’ils n’avaient pas vu ces cadavres-là, probablement qu’ils auraient continué sur une voie de destruction mortelle», croit l’autrice, qui a su insuffler son humour même dans cette pièce.
Les filles du Saint-Laurent est présentée jusqu’au 29 avril au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.