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Kanen: le calme par la musique

Kanen, la première révélation Radio-Canada en musique autochtone, sort son premier album long, « Mitshuap », vendredi. Photo: Shuen

Kanen, la première révélation Radio-Canada en musique autochtone, sort son premier album long, Mitshuap, vendredi. La voix chaude et puissante de l’autrice-compositrice-interprète innue se conjugue à des mélodies indie rock à l’énergie parfois brute, dont les sonorités atmosphériques nous transportent dans les forêts et le ciel immense de la Côte-Nord.  

Ces influences, la Montréalaise d’adoption de 24 ans les puise dans les racines folk de son enfance passée à Uashat mak Mani-Utenam, « un village tourné vers la musique », dit-elle en entrevue avec Métro.  

Du cinéma à la musique 

Sur ce nouvel opus chanté en innu-aimun et en français figure un émouvant duo avec Louis-Jean Cormier, originaire de la Côte-Nord également. Cette collaboration est le fruit du hasard, comme bien des réalisations dans le parcours de Karen Pinette-Fontaine, de son vrai nom.  

« Il me semble que je dis souvent “hasard” dans notre entrevue », relève la joueuse de ukulélé, qui ne croyait pas faire de la musique son métier, se destinant plutôt au cinéma. 

La musique l’habitait néanmoins depuis toujours : non seulement elle résonnait sans arrêt à la maison, mais la guitare fusait de toutes parts au sein de sa communauté, probablement sous l’influence des iconiques Florent Vollant et Philippe McKenzie, croit-elle.  

Chant, solfège, théâtre musical, poésie, slam : Kanen s’est rapidement passionnée pour les arts. Et après avoir réalisé des courts métrages inspirés de ses poèmes avec la Wapikoni mobile, organisme fondé par la documentariste Manon Barbeau, c’est au cinéma qu’elle aspirait à la fin du secondaire… jusqu’à ce qu’on l’invite à participer au projet Nikamu Mamuitun – Nos chansons rassembleuses.  

« J’ai découvert la musique autrement, se souvient-elle. Faire nos compositions, écrire nos propres choses, les présenter en spectacle… je ne connaissais pas ça. » 

Originaire d’Uashat mak Mani-Utenam, Karen Pinette-Fontaine, alias Kanen, baigne dans la musique depuis toujours. Photo : Shuen

Exil initiatique 

À 18 ans, Kanen a quitté son village pour la ville de Québec, un dépaysement qui dépassait le cadre de ses études : « C’était un exil nécessaire dans le but de mieux me connaître et me comprendre dans un terrain inconnu, explique-t-elle. Et il y a eu un gros clash : je découvrais quelque chose de plus énergique. » 

En s’ennuyant de son territoire natal, elle s’est rendu compte combien le « calme de la nature » faisait partie d’elle. Et a transposé cet attachement viscéral en chanson.  

« J’aime parler d’endroits calmes, empreints de paix, décrire leurs atmosphères. C’est important pour moi de situer où se passe la chanson », affirme-t-elle, citant Les heures des météores et Nimueshtaten nete, son duo avec Louis-Jean Cormier, ode à leur région natale. 

« Jamais j’aurais pensé que Louis-Jean serait sur mon premier album », lance d’ailleurs la demi-finaliste des Francouvertes en 2020. Pour la petite histoire, c’est l’autrice-compositrice-interprète Elisapie qui a pensé à unir leurs voix dans Le grand solstice, spectacle qui célèbre en musique les peuples autochtones du Québec. Et le résultat, fécond, s’est frayé un chemin sur Mitshuap

Se réapproprier sa culture innue

On l’a dit, Kanen chante en innu-aimun, langue qu’elle n’a pourtant pas apprise enfant, bien que des membres de sa communauté la parlaient autour d’elle. 

« C’est un phénomène qui se passe un peu partout, pas seulement chez les Innus. Dans les 11 nations, il y a une génération qui n’apprendra pas la langue… pour plusieurs raisons », dit-elle en marquant sa phrase d’une pause gorgée de sens. 

C’est par la composition que Kanen a voulu renouer avec ses racines et se réapproprier son identité. « Je ne savais pas par où commencer, et la musique, c’était un safe space pour amorcer ce processus », explique-t-elle. 

Comme l’écriture constitue à ses yeux « un terrain de jeu », c’était le meilleur moyen d’apprendre l’innu « sans se casser la tête », confie-t-elle. « J’assume même les fautes, parce que je ne suis pas anxieuse d’être perfectionniste dans l’apprentissage, étant donné que je le fais par la musique, un endroit calme. Et j’approche la musique avec humilité. » 

D’ailleurs, certaines de ses chansons rendent hommage aux femmes autochtones disparues et assassinées, telles Par la fenêtre et Mitshuap.  

On parle de toi depuis plusieurs années / Mais personne ne sait qui tu es / Ce qu’on entend à la télévision / C’est des chiffres, mais pas ton nom / Je sais que les statistiques / Te feront jamais revenir / À la maison, chante-t-elle dans la pièce-titre. 

Ce morceau a émergé dans la foulée des funestes découvertes sur le terrain d’un ancien pensionnat pour Autochtones à Kamloops, en Colombie-Britannique, relate Kanen, qui se trouvait alors seule dans un hôtel de Val-d’Or.  

De telles tragédies font « ressortir des traumatismes », affirme-t-elle. Et plutôt que de « saccager [sa] chambre d’hôtel », elle s’est réfugiée dans le calme que lui procure la musique. « C’est un sac qui s’est déballé ce 1er juillet là. » 

Mitshuap signifie « maison », mais son sens va bien au-delà de la simple habitation. « C’est une sorte d’entité. Métaphoriquement, mitshuap, ça peut être une personne, une place, un territoire, même un moment », illustre Kanen. 

« Et c’est ce que je recherche à l’âge adulte : me sentir acceptée et en sécurité. Métaphoriquement, une maison, c’est tout ça. »  

Pour voir Kanen en concert  

Par sa musique, Kanen se réapproprie sa culture innue. Photo : Shuen

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