Si le rythme, le souffle et les influences musicales du roman au succès retentissant Le plongeur de Stéphane Larue vous ont rivé à ses pages, son adaptation cinématographique, qui prend l’affiche vendredi, vous captivera tout autant.
Réalisé par Francis Leclerc, Le plongeur fait honneur à l’esprit du livre d’origine tout en constituant une œuvre autonome à part entière, riche et trépidante.
La plonge pour fuir le jeu
Le plongeur, c’est Stéphane, étudiant en graphisme de 19 ans féru de musique métal, aux prises avec une dépendance au jeu qui le laisse sans le sou et endetté envers ses amis. Il prend alors un job à la plonge d’un restaurant cossu du Plateau Mont-Royal.
Le nouveau plongeur s’enfonce dans le mensonge pour dissimuler ses dettes aussi rapidement qu’il s’engouffre dans un mode de vie nocturne effervescent, où l’alcool se consomme à flots dans les bars.
L’interprète du sympathique mais tourmenté Stéphane, Henri Picard, dont le regard ténébreux transmet toute l’intensité de ses émotions, a lu le roman, narré à la première personne. « Ça m’a vraiment aidé à découvrir son intériorité, à entrer dans sa tête », confie le comédien en entrevue avec Métro au sujet de son personnage.
« Je suis touché par sa quête de guérir de sa maladie. Il ment beaucoup, mais il est plein de bonnes intentions. Il est déterminé à être une meilleure personne. Prendre plein de shifts pour s’éloigner du jeu, je trouve ça courageux et honorable », affirme l’acteur, qui a remporté en 2019 le prix de la meilleure interprétation masculine dans un rôle de soutien au Gala Québec Cinéma grâce au film À tous ceux qui ne me lisent pas.
Et qu’est-ce qui a animé le réalisateur de Mémoires affectives, qui cosigne le scénario avec Éric K. Boulianne, à adapter le roman inspiré d’une période houleuse de la vie de Stéphane Larue? « La qualité du récit, la quête du personnage principal, les personnages colorés. Pour moi, Le plongeur est un film sur la jeunesse, indique Francis Leclerc à Métro. Le côté “rétro”, le retour en arrière vers 2002 me plaît aussi beaucoup. Pour un cinéaste, faire un voyage dans le temps est toujours un privilège. »
Frénésie de la cuisine
Si vous travaillez ou avez déjà travaillé en restauration, vous reconnaîtrez dans Le plongeur le rythme effréné d’une cuisine.
La scène d’ouverture du film — un plan-séquence filmé en hauteur —, franchement impressionnante, nous immerge d’emblée dans ce lieu frénétique. Au son d’une sorte de bourdonnement sourd, la caméra traverse la cuisine au ralenti, où s’affairent les chefs dans une espèce de danse tumultueuse, jusqu’à la plonge de Stéphane, qui récure les poêles en suivant la cadence de la cuisine.
Sur le plan formel, Le plongeur est une ingénieuse œuvre de cinéma, marquée de plans étoffés. Les scènes en cuisine, jubilatoires, montrent le rush d’adrénaline qu’y puise Stéphane, palliant celui que lui procurent les machines.
La restauration, c’est évidemment un trip de gang. Autour du nouveau plongeur gravitent des personnages attachants et hauts en couleur qui vocifèrent derrière leurs poêlons en plein brouhaha des soupers, mais qui se réunissent dans la plus franche camaraderie devant des verres après chaque quart.
Bien que Stéphane crée une connexion salutaire avec la dynamique Bonnie (incarnée par Joan Hart), qui partage sa passion de la musique métal, et Bébert (Charles-Aubey Houde), cuisinier au passé orageux en qui il voit un mentor, il n’est pas à l’abri de l’influence délétère du charismatique busboy Greg (Maxime de Cotret), plus dangereux qu’il ne le paraît.
2002 en musique
Outre la frénésie de la cuisine, la musique, omniprésente, donne le ton au film.
La production s’est gâtée, concoctant une trame sonore explosive faite de chansons, surtout rock et métal, propres à l’époque.
Dumas, Les Chiens, Godspeed You Black Emperor!, Groovy Aardvark, Rancid, Iron Maiden, Beholder, Radiohead, The Chemical Brothers, Ben Harper… Voilà seulement quelques noms parmi plus d’une vingtaine de titres qui font revivre le début des années 2000 aussi bien que la coupe de cheveux aux mèches bleachées de Greg.
« Au départ, je ne voulais pas de musique score, que des chansons de l’époque 2002 et moins », indique Francis Leclerc par courriel à Métro. « Alors on a fait en sorte avec la production que l’on réserve beaucoup d’argent pour la libération de droits de musique. »
« Dès l’écriture, Éric K. Boulianne et moi, on avait déjà inscrit quelques titres dans le scénario, souvent issus du roman même de Stéphane Larue, poursuit-il. Ensuite, j’ai beaucoup écouté de chansons qui ont marqué mon Montréal à moi de 2002. En gros, j’y ai mis plusieurs coups de cœur (Radiohead, The Chemical Brothers, Ben Harper…) qui me rappelaient cette époque. Et on a été chanceux, ils ont accepté! »
Henri Picard s’est lui aussi imprégné des chansons qui étaient inscrites dans le scénario afin de se glisser dans la peau et les hoodies de Stéphane, raconte-t-il à Métro. En amont du tournage, il s’est gorgé de métal en déambulant sous la neige dans les rues de Montréal, comme le fait son personnage en déroute.
Le fait d’avoir campé ce rôle principal au cinéma, qui lui a permis de gagner en confiance, l’emplit « de gratitude », affirme-t-il. « C’est du luxe, au Québec, faire du cinéma. Tout le monde veut en faire, et je ne le tiens pas pour acquis. J’essaie d’y faire honneur », conclut-il avec maturité.