Les Vulgaires Machins et la colère pertinente
On s’ennuyait des harmonies de Marie-Eve Roy et Guillaume Beauregard de Vulgaires Machins, dont l’album précédent remontait à 2010. C’est avec bonheur que l’on renoue avec leurs voix à l’unisson et leurs guitares rugissantes sur l’ardent Disruption, opus flambant neuf du mythique groupe punk-rock contestataire ayant enflammé une génération.
Et leurs riffs abrasifs sont de retour! Le band a conservé intacts son sens affûté des mélodies — le disque réalisé par Gus van Go recèle des perles d’hymnes à chanter en chœur en concert — et sa fougue punk-rock, tout en sertissant certaines chansons de touches grunge ou synth-pop. Des teintes qui ne font qu’enrichir le son de Vulgaires.
« On n’a jamais eu peur de ce que les fans de punk pensent que c’est, un band punk », dit Guillaume en entrevue avec Métro dans un café de Villeray, aux côtés de Marie-Eve, sa partenaire dans le groupe comme dans la vie. « On adore les mélodies, les harmonies. À la fin de la journée, on ne garde pas forcément la toune la plus heavy. »
Désir de scène et de pertinence
Une douzaine d’années s’étaient écoulées depuis Requiem pour les sourds, durant lesquelles Guillaume et Marie-Eve ont donné naissance à leurs enfants, mais aussi à deux superbes albums solo chacun.e, dans la veine folk-rock et dream pop.
Au cours des dernières années, les Vulgaires, que complètent Maxime Beauregard à la basse et le nouveau venu Pat Sayers à la batterie, sont remontés sur scène le temps d’une poignée de concerts seulement, dont au Rockfest en 2016.
« On a pogné de quoi à ce show-là, se souvient Marie-Eve. On a renoué avec le plaisir de jouer ensemble. »
S’ensuivit une mini-tournée galvanisante en 2019, qui a renforcé leur désir de réunir le groupe sur scène. Toutefois, hors de question de ressasser leurs « vieilles tounes » — créer de la musique s’imposait. Mais pas à tout prix.
Les membres ont passé deux ans à se questionner sur la pertinence d’un retour. Pourquoi faire un album? Qu’est-ce qu’ils avaient envie de dire? Pourquoi le véhicule Vulgaires Machins était-il encore pertinent?
Notre retour est né du plaisir de rejouer ensemble, mais l’album ne pouvait pas parler de ça. Disruption, c’est le fruit d’un cheminement individuel et citoyen, plus que comme artiste, en fait. Car c’est ça, la nature de Vulgaires Machins.
Guillaume Beauregard, musicien et parolier de Vulgaires Machins
Marie-Eve et Guillaume l’assurent, s’ils avaient été insatisfaits de l’album, ils ne l’auraient pas sorti. Heureusement (pour eux comme pour les fans), le contraire s’est produit : Disruption, ils en sont fiers et ils espèrent que le public a envie de l’écouter d’un bout à l’autre.
« La colère existe encore »
Comment faire partie à leur échelle de la solution? Comment être un ajout pertinent dans l’art engagé? C’est à ces préoccupations que carburaient en écrivant Guillaume et Marie-Eve, qui se partagent les textes et le chant.
Cette dernière, guitariste et claviériste, occupe sur Disruption une place plus prééminente, ses textes et sa voix claire habitant près de la moitié du disque.
Par le passé, l’autrice et compositrice des albums Multicolore et Bleu Nelson reconnaît avoir écrit en tentant « d’être acide ou baveuse » afin de cadrer avec le propos contestataire de Vulgaires Machins; or, là n’est pas sa force, constate-t-elle. Au fil de ses albums solo, elle a trouvé sa couleur, a gagné en assurance afin de défendre ses tounes. Ce qui l’a aidée à aller plus loin avec le groupe.
Je me suis rendu compte que ma vulnérabilité pouvait être ma force au sein de Vulgaires Machins.
Marie-Eve Roy, musicienne et parolière de Vulgaires Machins
Et les Vulgaires Machins reviennent en verve. Le groupe, qui a pourfendu des années durant les dérives capitalistes de notre société, est toujours en colère. Or, sa façon d’exprimer ses questionnements existentiels a changé : son cynisme caractéristique d’antan ne mène à rien, observe-t-il. « Mon nihilisme est risible, et nuisible, et abject », chante Guillaume sur Obsolète, essayant de se défaire de son cynisme sur Asile.
« La colère existe encore, mais c’est le comment et le pourquoi qui ont changé. On ne voulait pas revenir 10 ans plus tard pour dire : “Le capitalisme, c’est de la marde.” Même si on le pense encore! », lance le musicien et parolier.
Extrême-droitisation, argent primant sur environnement, « une droite et une gauche incapables d’avoir une discussion qui a du sens », désolidarisation, ravages des réseaux « asociaux », ultra-violence… les sources d’indignation, les affres à dénoncer ne se sont guère taries depuis que les Vulgaires regardaient mourir le monde sur l’implacable Compter les corps, en 2006.
Sans se départir de sa griffe incisive, le quatuor aspire à « fédérer, se solidariser par rapport à ce qui se passe », affirme Guillaume.
Leur engagement, il est là aujourd’hui. D’où l’importance capitale de l’art à leurs yeux. « J’ai soif d’une communauté artistique se mobilisant autour d’un projet commun », déclare le créateur de l’album D’étoiles, de pluie et de cendres. « Les politiciens ont de la misère à élever le débat sur le plan de l’environnement, les médias ont de la misère à l’amener sur la place publique. Je pense que les artistes peuvent donner envie au monde de s’impliquer, de s’intéresser, d’avoir de l’espoir. »
Les Vulgaires concluent Disruption avec Je lève mon verre, à tous ces gens constituant notre société. Ultimement, c’est à la santé de l’amour qu’ils le lèvent. L’issue du monde, elle se trouve aussi là. Et les Vulgaires n’ont pas fini de rugir en son nom.