Daniel Bélanger, la poésie et les cochons
À la fin de l’été, l’auteur-compositeur-interprète Daniel Bélanger a réservé une surprise littéraire à ses admirateur.trice.s : son premier recueil de poésie, Poids lourd.
La couverture — un porc coincé dans une voiture la nuit — reflète assez explicitement l’idée maîtresse traversant le recueil : un camion rempli de porcs, filant sur l’autoroute vers l’abattoir. Une scène récurrente dans la vie d’un auteur-compositeur-interprète en tournée hors de la métropole, subodore Daniel Bélanger, qui, lui, a souvent croisé de ces poids lourds chargés de « bêtes, oscillantes, silencieuses », écrit-il dans son poème inaugural.
« Tu ne dépasses pas ça comme un camion de tondeuses », illustre-t-il en entrevue, soulignant que l’image est « dure » même « pour un carnivore ». « Ça me laisse pantois chaque fois, et j’ai voulu développer là-dessus. J’aime la poésie trash, et je ne dis pas que mon recueil l’est, mais il y a quelque chose de trash là-dedans. »
Ses tiroirs recelaient déjà de « choses écrites comme ça », mais c’est en 2019 que le créateur a amorcé l’aventure de Poids lourd. Attablé à ses cafés bien-aimés — des lieux où il fait bon s’arrêter et réfléchir, ou simplement se laisser aller au farniente, estime-t-il —, il s’est « mis à écrire sans [se] donner de paramètres ».
« Je me suis retrouvé avec plusieurs poèmes. Quand j’ai trouvé la ligne directrice du cochon et du camion, ça m’a inspiré. Ça m’a drivé », se remémore-t-il.
Quand le poète se substitue au parolier
Comment savait-il que des phrases jaillissant dans un café ne se destineraient pas à une chanson, lui qui a également composé durant la pandémie un nouvel album, Mercure en mai, qui sortira le 14 octobre?
C’est bien simple : pour lui, l’écriture de paroles et de poésie ne s’entremêlent pas, « ce sont deux affaires très différentes », explique le créateur qui compose toujours la musique avant d’écrire les paroles de ses chansons, jamais l’inverse. Ses paroles « collaborent avec la musique ».
Ces deux écritures, « ça ne s’est jamais vraiment mélangé, car je n’ai jamais considéré que je faisais de la poésie dans mes chansons », expose l’auteur des Insomniaques s’amusent, son premier album paru il y a 30 ans cette année.
Je me suis toujours considéré comme un parolier et non un poète. Le parolier a une sorte de job que je ne suis pas capable de définir encore, mais il est obligé de travailler avec le musicien, alors que le poète, lui, est tout seul.
Daniel Bélanger, distinguant l’écriture de paroles et celle de poésie
L’auteur à la dizaine d’albums — Mercure en mai sera son 11e, si l’on compte Tricycle, enregistré devant public — se qualifie d’amoureux de poésie, sans en être adepte, nuance-t-il. « Comme la musique ne m’inspire pas forcément la musique. C’est bien souvent le silence qui m’inspire. Ce n’est pas la poésie qui m’inspire la poésie, mais le sujet que je peux transformer poétiquement. »
Ayant un faible pour la poésie urbaine, il peut s’émouvoir des fleurs dans une ruelle, d’un homme buvant son thé dans un café, des arbres de son quartier « dont la sève meurtrière coule de cerveau en cerveau », écrit-il encore.
En duo avec une mythique maison d’édition
C’est de son propre chef qu’il a soumis son manuscrit à la maison d’édition Les Herbes rouges, « mythique » à ses yeux, où l’écrivaine et directrice générale Roxane Desjardins l’a accompagné.
« J’ai bien aimé sa façon de voir les choses. On a beaucoup, beaucoup travaillé ensemble. J’ai appris plein, plein de choses », affirme Daniel, se comparant à un élève recevant de l’aide aux devoirs de son enseignante. « J’étais ravi de parler d’un mot pendant trois quarts d’heure. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler le livre. »
Ceux et celles qui espèrent un roman peuvent déchanter : « la poésie, c’est plus naturel pour moi que le roman, conclut le créateur de Rêver mieux. Mettre 300 pages pour dire quelque chose alors que je le fais en quatre couplets ordinairement, je me sentirais un peu perdu. La poésie, ce sont des flashs comme mes chansons, et ça, c’est à ma mesure. »
Poème sélectionné de Poids lourd pour mettre l’eau à la bouche
Je vais où le secret
le mieux gardé me garde.
Un matin froid de novembre.
Nous prenons la route vers la péninsule.
L’antipode à proximité.
Puis nous repartirons vers le nord.
Dans notre convoi, nous tenterons
d’oublier la distance à parcourir
en nous touchant la cuisse, pour
assurer notre présence à
l’autre. Malgré les orages.
Ceux passés et ceux à venir.
Le plaisir instagramable de Daniel Bélanger
Impossible de discuter avec l’auteur de Paloma sans aborder les photos vivaces aux couleurs saturées ou tout aussi stylées en noir et blanc de son compte Instagram. « J’en fais à ma mesure, ça aussi », dit-il au sujet de ses photographies urbaines, en clin d’œil à ses propos précédents.
« Je ne m’empêche pas de faire ce qui me tente. C’est un truc en complément avec l’écriture aussi. Ce qu’une photo peut dire ou l’impression qu’elle peut laisser, ça m’amuse beaucoup. »
Quand on lui répond qu’il semble effectivement avoir du fun, il s’esclaffe. « Pouvez-vous vous imaginer être sur le site de quelqu’un qui n’en a pas? C’est terrible! Aussi bien faire les choses avec du fun ou ne pas les faire. » Sages paroles.