Exactement deux ans après la sortie de Disparitions, Jonathan Personne propose son troisième album, un homonyme qui prouve une fois de plus la vitalité du rock au Québec — en français, de surcroît.
Attablé au Cafécoquetel dans Villeray, Jonathan Robert de son véritable nom, celui avec lequel il signe les paroles de son groupe de post-punk Corridor, évoque son amour du shoegaze et de la dream pop des années 80, 90.
Pas étonnant que le musicien à la voix évanescente soit passé maître (comme Personne) des ambiances enveloppantes façonnées d’abondantes couches de guitare, de grooves rock psychédéliques, d’arrangements synthétiques et d’inspirations folk country (empruntant au western-spaghetti).
Arrangements et bidouillages
« Quatorze guitares se superposent sur la première toune; même chose avec les percussions, il y a plusieurs layers qui font que ça sonne large », explique le musicien qui a posé ses pénates il y a un an à Ahuntsic, avec sa blonde et leur fillette, après avoir vécu plus de 10 ans dans le Mile-End.
Alors que l’on discute des atmosphères texturées de l’album, les orchestrations, qui distinguent ce nouvel opus des précédents, viennent rapidement sur le sujet.
« Les orchestrations, ça m’accroche ben raide au projet! », lance celui qui, parallèlement à la musique, porte également les casquettes de graphiste et d’illustrateur — l’image du livret est de sa main.
Toute la partie arrangements, le côté bidouilleux, pas juste écrire mes textes et faire les squelettes des chansons, ça m’excite ben raide.
Jonathan Personne
« Il y a des trucs qui paraissent grandioses pis c’est des plug-ins passés dans des machines. On essaie de transformer le son pour que ça évoque autre chose, au final. » Bidouilleux, vous dîtes?
Subtils échantillonnages
Aussi étoffées que soient les compositions, elles ont pourtant pris forme à la vitesse de l’éclair, se souvient Jonathan, qui les a d’abord intégralement composées à la guitare acoustique en deux mois à son chalet.
Un fois en studio, après « peut-être trois pratiques », évalue-t-il, ses amis Samuel Gougoux (batterie), Julian Perreault (guitare), Mathieu Cloutier (basse), Emmanuel Éthier (mellotron, violon, synth) et lui avaient monté toutes les tounes. Et si les dynamiques musicales de ces dernières sont aussi variées, c’est grâce à l’apport d’Éthier, qui signe de nouveau la réalisation.
Jonathan s’est également amusé ferme à multiplier les échantillonnages sur l’album et à les transfigurer en mélodies. Mais entendons-nous, ces échantillonnages (tirés de séries pour enfants, d’anime japonais des années 80 ou de films obscurs), il en fait usage « avec parcimonie dans chacune des chansons ».
Pop orchestrale rétro
Au moment de la création, il écoutait énormément de vieille pop orchestrale des années 60, comme les Walker Brothers ou les Carpenters, et de la musique embrassant l’effet mur de son créé par le producteur Phil Spector. « Ça s’entend », dénote-t-il.
Jonathan souligne que ces influences au doux parfum suranné se perçoivent surtout sur les chansons les plus orchestrales de l’album, soit À présent, Après tout et Goudron et plumes, qui jalonnent respectivement le début, le milieu et la fin de l’opus — positions guère laissées au hasard. Jonathan n’en démord pas : « Le pacing d’un album, c’est super important. »
Bien qu’il assume pleinement ses inspirations, il lui importe qu’on ne le réduise pas à un seul son, à une seule époque. « C’est ce que souhaite tout artiste, avoir son propre monde », expose-t-il. Ce que bâti avec doigté Jonathan Personne depuis trois albums déjà, Histoire naturelle ayant inauguré son projet solo, en 2019.
Une voix assurée
À ce décor mélodique raffiné se fusionne sa voix haut perchée — certainement l’une de ses marques caractéristiques. Or, elle s’y fond un peu moins qu’à l’accoutumée, constituant là une autre distinction de cette troisième œuvre (mot que nous endossons pleinement).
Ici et là, sur Un homme sans visage, Le fou dans l’arbre ou Rock and roll sur ton chemin par exemple, sa voix s’affirme un peu plus, comme si elle avançait de quelques pas devant le rideau de son, tantôt décapant, tantôt aérien.
Observation que confirme le créateur, dont le projet solo repose désormais dans le giron Bonsound après que la maison de disques Michel Records a mis fin à ses activités.
« On a pris de l’assurance. Ce sont plus des chansons en tant que telles. La voix est un peu plus à l’avant-plan. Je suis un peu plus décomplexé par rapport à ça », raconte celui qui est devenu, avec Dominic Berthiaume, l’une des voix par défaut de Corridor lorsque s’est formé le band en 2012, comme personne ne chantait.
Récits éclectiques
Si sur le plan des textes, ceux de Disparitions se déployaient dans une certaine narrativité, Jonathan a effectué l’exercice contraire avec l’album suivant, relatant plutôt des contes individuels, nés d’images lui étant apparues à l’esprit.
« La première, c’est un genre de couple à la Roméo et Juliette-James Dean. Il y a un accident de char, de la vitesse. J’imaginais le bras de vitesse, l’accélération, le char qui passe à travers le garde-fou », illustre le musicien, qui se demandait également quoi dire avec ces images. Car oui, à l’ombre de ces histoires pas toujours joviales se tapissent des bribes de vécu.
Au-delà du récit d’un joueur compulsif dans l’ultime pièce de l’album, Goudron et plumes (référence à la punition infligée durant le Far West aux tricheurs et aux voleurs surpris en plein délit) est une chanson « avec du recul », dévoile Jonathan Personne, qui admet s’être épuisé durant la tournée effrénée de Corridor, happé par le succès de Junior.
Aujourd’hui revigoré, Jonathan Personne est « vraiment excité » à l’idée de présenter son matériel solo sur scène, lui qui n’a donné que trois concerts depuis la pandémie. « Je suis pas écœuré du matériel précédent! » Tant mieux, nous non plus!
Jonathan Personne, Jonathan Personne, Bonsound