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«L’empereur» du malaise 

Jean-Philippe Perras tient la vedette de la série «L'empereur».

L’empereur, c’est cette nouveauté de Noovo au sous-titre évocateur: «la construction d’un agresseur». Écrite par Michelle Allen (Fugueuse, Pour Sarah), elle met en scène Christian, un gars qui évolue dans le milieu de la pub et qu’on suit à coups d’allers-retours entre 2005, au début de sa carrière, et 2015, là où elle frappe un mur parce qu’il est dénoncé pour une agression sexuelle qui est loin d’être sa première. 

Christian, joué par Jean-Philippe Perras, correspond parfaitement à la figure que les anglophones appellent le «nice guy», soit un homme qui se perçoit comme un «bon gars» et projette cette image autour de lui, estimant que les faveurs sexuelles des femmes lui sont dues pour cette raison.  

Un faux gentil garçon, autrement dit, et un processus scénaristique pour que la tension soit en constant crescendo au fil des neuf épisodes, au cours desquels on découvrira le vrai visage de cet agresseur. Le résultat est plus ou moins réussi, puisqu’on navigue entre deux époques dont les trames narratives n’ont pas la même intensité – on est en plein drame en 2015, mais on s’arrête presque pour sentir les marguerites au bord du chemin en 2005 alors que le personnage principal a déjà commis des agressions.  

Se présentant comme un défenseur de la veuve et de l’orphelin, Christian se débrouille très bien, autant dans sa carrière en pub que dans ses activités philanthropiques ou dans ses relations interpersonnelles. Entouré de sa sœur, Audrey (Madeleine Péloquin), de sa fidèle collègue Manuela (Noé Lira) et de sa femme, Olivia (Geneviève Boivin-Roussy), il ressemble au parfait conjoint, au parfait patron ou au parfait frère aux yeux de ses proches, qui le soutiennent et l’aident à bâtir son empire. Mais il viole des femmes. À répétition. Pendant des années. Sans la moindre conséquence. 

«Qui sont ces hommes-là? Comment ça se fait qu’ils agressent? Il y a une société qui permet ça. C’est ce qu’on va découvrir», expliquait Michelle Allen aux journalistes rencontrés lors de la projection de presse juste avant les Fêtes. C’est pour cette raison qu’elle a situé l’action avant le mouvement Moi aussi, quand les langues ont commencé à se délier. 

En 2005, c’est l’ère de l’eyeliner blanc, de la cuisine moléculaire, des flip phones et des chandails avec des fermetures éclair décoratives. Sex and the City s’est terminé il y a peu, les femmes parlent de sexualité de manière décomplexée et balaient des abus sexuels comme des mauvais coups après avoir un peu trop bu.  

Là où le bât blesse, c’est qu’on comprend difficilement les intentions de la série. En rencontre de presse, toute l’équipe parle de l’idée de «faire œuvre utile», mais comment? De quelle manière montrer que certains comportements étaient tolérés, voire applaudis il y a 20 ans peut aider la société d’aujourd’hui à évoluer? Cherche-t-on à minimiser la culpabilité des agresseurs en mettant la responsabilité sur un climat social? Le message n’est pas clair. 

Quelques couches de malaise et de nuances 

Dans notre monde post-#MeToo, il fallait s’attendre à une série comme L’empereur. Ce qui était plus difficile à voir venir, cependant, c’est la distribution qui a été choisie.  

Qu’on soit clair: Jean-Philippe Perras n’a rien à se reprocher, personne ne veut l’empêcher de travailler comme acteur et la qualité de son jeu est à saluer. Là où on peut ressentir un malaise, c’est par sa proximité avec quelqu’un qui a été emporté par la vague Moi aussi.  

En étant le conjoint de Maripier Morin – qui a été dénoncée par moult personnes pour des inconduites sexuelles, entre autres choses –, a-t-il vraiment la distance nécessaire pour incarner un agresseur? Le casting ne manque-t-il pas d’une certaine sensibilité? Disons que c’est, à tout le moins, malhabile, et que c’est, au plus, prendre un gros risque. Un risque pour le succès de la série, mais aussi pour que l’animatrice soit replongée dans une tempête médiatique alors qu’elle tente de se sortir de son bourbier à coups de couvertures du 7 Jours.  

«J’ai choisi le meilleur acteur pour le rôle», s’est défendu le réalisateur Adam Kosh aux médias. La réponse est la même du côté de Bell Média, la vice-présidente développement de contenu, programmation et information, Suzane Landry, et la directrice générale de la fiction, Sophie Parizeau, invoquant le talent de Jean-Philippe Perras.  

En entrevue avec Métro, ce dernier évite habilement de parler de sa conjointe. «Dans mon travail comme acteur, pour tous mes personnages, je pars de moi», répond-il quand on lui demande si sa proximité avec une personne dénoncée pour inconduites sexuelles a influencé sa façon de jouer.  

«Je pense que Christian ne s’apparente pas à personne d’autre, parce qu’on parle de quelque chose de plus grand, qui est la société en général, poursuit Jean-Philippe Perras. On parle de comportements masculins, des pulsions sexuelles, mais surtout des désirs de pouvoir, de posséder à cause de leur ego démesuré. […] Christian veut se sentir aimé, se sentir important pour les autres. Jusqu’à quel point il va avoir une emprise sur les gens pour s’approprier cet amour-là?» 

Difficile de ne pas faire de parallèle avec celle qui a déclaré en mai 2021, à Tout le monde en parle, qu’elle avait été «complètement envahie du sentiment d’être aimée à tout prix et de façon maladive», mentionnant également «l’ego démesuré qui vient avec la consommation [de drogue]».  

L’empereur est diffusée sur Noovo les mercredis, 20h.  

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