«Haute démolition»: une série dont on va se souvenir…
La plume à l’encre réaliste, baveuse et cynique de Jean-Philippe Baril Guérard continue de laisser son trait au petit écran. Après Manuel de la vie sauvage, l’auteur, toujours flanqué du réalisateur Christian Laurence, récidive en remodelant en images un deuxième de ses romans, Haute démolition, toujours sous le parrainage du producteur KOTV et de la chaîne Séries Plus.
Si Jean-Philippe Baril Guérard aime que ses livres deviennent matière à réflexion et à discussions, il n’en espère pas moins de ses projets télévisés, incluant les six épisodes de Haute démolition, dont le tournage est présentement en cours dans la région de Montréal, depuis le début juillet et jusqu’à la fin août, pour une diffusion à l’hiver 2023.
«Je n’ai pas le goût de faire une série qu’on va écouter, mais dont on ne se souviendra pas la semaine d’après, lance l’écrivain en entrevue avec Métro. Et je trouve que la vraie utilité d’un livre commence une fois qu’on l’a terminé. Je veux que l’œuvre soit au service de quelque chose de plus grand, qu’il y ait des idées, qu’on puisse vivre des émotions fortes, faire réfléchir et débattre. Que ça nous trotte un peu dans la tête.»
«La question de l’éthique m’obsède beaucoup, continue-t-il. Le bien, le mal, ce qu’on est prêt à faire pour réussir, sur quels principes on est prêt à piler… Dans mes livres, les narrateurs ne sont pas nécessairement toujours aimables, mais il peut y avoir différentes lectures d’une même œuvre.»
Sexe, drogue et peine d’amour
À cet égard, le créateur peut probablement se targuer d’un virulent «mission accomplie» avec Haute démolition, qui avait fait grincer des dents le milieu de l’humour et fasciné le public l’an dernier. Sa parution, d’abord prévue à l’automne 2020, avait été repoussée au printemps 2021 pour éviter les parallèles possibles avec l’actualité récente, alors que de nouvelles dénonciations d’inconduites dans le milieu artistique avaient explosé sur la place publique pendant l’été, quelques semaines plus tôt.
En braquant sa loupe sur l’industrie de l’humour québécois, Haute démolition recèle des bribes d’écarts de conduite de toutes sortes, et les comparaisons auraient été faciles. Mais Haute démolition constitue avant tout l’histoire d’une immense peine d’amour, couplée à un début de carrière étincelant sur scène pour un jeune humoriste peu sûr de lui, Raph (qu’interprète Étienne Galloy à l’écran). Largué par sa copine Laurie (Léane Labrèche-Dor), avec qui il a écrit son premier spectacle solo, le garçon subira une descente aux enfers saupoudrée de paradis artificiels dans les coulisses, au même rythme que croîtront sa gloire, sa notoriété et son ego sous les projecteurs.
Raph offrira des chroniques comiques matinales à la radio au terme de nuits de cuite totale, deviendra odieux avec son entourage, côtoiera des producteurs et autres décideurs pas nécessairement bien intentionnés… Comme ça s’est sûrement déjà vu dans le petit monde de l’humour québécois! Mais Haute démolition n’est pas un documentaire, son auteur n’a eu de cesse de le réitérer depuis un an.
«Ce qui m’intéressait, c’était de montrer à quel point il peut y avoir un grand décalage entre le succès professionnel et le bonheur dans la vie intime, nuance Jean-Philippe Baril Guérard. J’ai utilisé l’humour, parce qu’au Québec, c’est tellement une grande industrie culturelle, et ce sont tellement des super vedettes, que ça me semblait la meilleure façon d’aborder ça. Ça aurait pu se passer dans un autre milieu. J’aime partir d’un milieu, un environnement sur lequel les lecteurs vont avoir un apriori et, finalement, leur montrer un autre côté. Je voulais aussi illustrer à quel point la collaboration peut être compliquée au sein d’un couple d’artistes, et surtout après une rupture.»
«Je ne prétends pas représenter l’entièreté du milieu. Mais c’est absolument vrai qu’il y a des producteurs et des gérants qui ne prennent pas toujours les intérêts personnels de leurs artistes à cœur. C’est vrai, et c’est documenté, que la consommation d’alcool et de drogue est beaucoup plus élevée que dans la population moyenne, et les problèmes de santé mentale aussi.»
Jean-Philippe Baril Guérard, auteur, au sujet du roman et de la série Haute démolition
Celui qui est également comédien (et qui a entre autres joué dans Manuel de la vie sauvage) concède néanmoins qu’il est heureux d’avoir pu scruter une industrie aussi «opaque» que celle de l’humour, rarement décortiquée, ne serait-ce que dans le docu-réalité Les 5 prochains, à ICI ARTV, que Baril Guérard affirme avoir beaucoup aimé.
Des acteurs inventifs
Un an et des poussières après sa sortie médiatisée sur les tablettes, donc, on annonçait la mise en branle de la production télévisée de Haute démolition, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de l’initiative couronnée de succès que fut l’adaptation de Manuel de la vie sauvage. La minisérie a remporté un beau succès d’estime en début de printemps et a raflé une nomination aux prochains prix Gémeaux, dans la catégorie du meilleur montage. Baril Guérard ne s’offusque pas outre mesure que son «bébé» n’ait raflé qu’une seule mention à la cérémonie, la dernière année ayant été particulièrement relevée en titres télé de qualité.
Dans Haute démolition à la télévision, on évacuera la narration à la deuxième personne (au «tu») qui porte le bouquin de la première à la dernière page, alors que Laurie prédit son avenir à Raph lors de leur première rencontre. Les protagonistes seront légèrement plus âgés, et on aura droit aux deux revers de la médaille de l’histoire d’amour des deux jeunes artistes.
«On a dû beaucoup le transformer pour que ça devienne télévisuel, note Jean-Philippe. Je n’avais pas le goût d’avoir une narration en voix off, ça ne me semblait pas pertinent. La projection dans le futur sera incarnée différemment à l’image. Et, dans la série, on donne plus de temps de glace à Laurie. On aura les deux perspectives. Mon inspiration a été Marriage Story, qui montre l’histoire d’un divorce où on a les deux points de vue et où on voit le gouffre s’agrandir de plus en plus entre les deux personnages, qui ont une perception erronée l’un de l’autre.»
Jean-Philippe Baril Guérard a lui-même retravaillé son texte littéraire en scénario, et sollicité l’apport de son amie Suzie Bouchard pour peaufiner les segments des numéros comiques.
«Je suis l’auteur principal, mais Suzie m’a beaucoup aidé pour les portions de stand up. Je suis allé la chercher parce que je voulais des stand up très forts. C’est une fille dont j’adore l’humour, drôle et intelligente, elle-même humoriste…»
Jean-Philippe Baril Guérard s’implique à tous les niveaux de la transposition de Haute démolition, incluant le casting, dont il dit le plus grand bien.
«On a une distribution incroyable, des acteurs intelligents et créatifs», siffle-t-il, parlant ainsi autant des Guillaume Gauthier, Carolanne Foucher, Irdens Exantus, Éric Bernier, Michel Charette, Bruno Marcil et Hélène Bourgeois-Leclerc qui graviteront autour des deux étoiles principales, Étienne Galloy et Léane Labrèche-Dor, que de celles-ci en particulier.
«J’ai eu un gros coup de foudre pour Étienne Galloy dans le film pour ados Avant qu’on explose, une comédie que j’avais trouvée tellement intelligente. Pour le personnage de Raph, ça nous prenait un gars avec un comique naturel. Parce que, faire rire, ça ne s’invente pas. Ce qui est intéressant avec les humoristes, c’est que chacun nous fait rire à sa façon. Il n’y a pas 23 Katherine Levac, Rosalie Vaillancourt ou Louis-José Houde.»
«Et Léane Labrèche-Dor a tellement été inventive à l’audition! Elle avait réécrit le texte, improvisé, fait des choses surprenantes. Elle se l’est tellement approprié qu’elle nous a appris des choses sur le personnage, à Christian Laurence et moi. Comme si elle comprenait plus le rôle que moi-même, qui l’avais créé. Ça m’a jeté à terre.»
On pourra voir la série Haute démolition à Séries Plus à l’hiver 2023. Le roman est toujours en vente.