«Pour toi Flora»: pécher par excès de bonnes intentions
«Parce qu’on est en 2022», il était temps qu’un réseau de télévision francophone s’engage à proposer une série entièrement écrite, réalisée et produite par des créateur.trice.s autochtones.
Et que celle-ci témoigne de surcroît du sombre passé des pensionnats pour Autochtones au Canada et de l’assimilation forcée de ses jeunes occupant.e.s, on sait qu’on vient, collectivement, de franchir un pas majeur.
Entre 1870 et 1996, plus de 150 000 petit.e.s ont été séparé.e.s de leurs familles et communautés pour être placé.e.s dans un des 139 pensionnats pour autochtones au pays et y subir des sévices fréquemment innommables. La découverte de sépultures d’enfants autochtones près des pensionnats de Kamloops et de Marieval, l’an dernier, a donné froid dans le dos et rappelé la nécessité de s’éduquer sur les incartades de nos ancêtres.
Loin d’être parfaite, la fiction Pour toi Flora, de la réalisatrice et scénariste Sonia Bonspille Boileau, dont les six épisodes d’une heure ont été mis en ligne sur ICI Tou.tv Extra jeudi, devient néanmoins pionnière au petit écran québécois et on se doit d’y tendre un œil pour comprendre et admettre ces terribles événements. Pour que jamais pareille cruauté ne se reproduise et, surtout, pour amorcer une véritable réconciliation entre les peuples.
De 1960 à aujourd’hui
Deux époques se dessinent en parallèle dans Pour toi Flora. La plus captivante, campée dans les années 1960, suit deux petits Anishinaabe (Algonquins), un garçonnet et une fillette, que «des hommes en robe noire» (des curés) déjà craints viennent arracher à leurs parents et à leur vie en nature pour «en faire de bons chrétiens» en les confinant dans des institutions religieuses financées par l’État.
On apprend à ces petits chasseurs les mouvements de la prière, on les force à apprendre les coutumes d’un peuple qui les déteste, dans une langue qui leur est inconnue, en leur servant une nourriture qui les rebute. On les frappe à la moindre insolence, on leur enlève des objets précieux, on abuse de leur innocence moralement et sexuellement.
On grimace en entendant le père Bédard (André Robitaille) évoquer que «en veillant au bien moral et religieux de ces sauvages [sic]», ces établissements participent à «leur relèvement social». «Les Indiens ne survivront pas à la modernité sans notre aide», martèle-t-il.
Devenu adulte, dans nos années contemporaines, le petit Kiwedin (Russell Flamand), qui s’appelle maintenant M. Dumont, raconte son histoire, d’abord comme voix narrative de Pour toi Flora, puis dans un livre, qu’il soumet à une maison d’édition dirigée par Julianne Turcotte (Virginie Fortin). On fera ensuite connaissance avec la famille de cette dernière, composée de sa mère (Dominique Pétin), son père (Jean L’Italien) et son frère, Antoine (Antoine Pilon). Rapidement, le public allumé additionnera 1 + 1 dans sa tête et devinera les liens qui se tisseront entre les protagonistes.
Résultat décevant
Dommage, toutefois, que d’un point de vue artistique, le résultat de Pour toi Flora déçoive un peu. Jeu inégal des acteur.trice.s, punchs qu’on voit venir de loin, ton parfois moralisateur (le projet vise à enrayer des préjugés, mais certains dialogues sonnent plaqués tellement ils manquent de nuances et de subtilité), manque flagrant de touches de lumière qui permettraient aux téléspectateur.trice.s de prendre un instant de recul pour bien absorber l’atrocité et s’en indigner davantage: Pour toi Flora pêche par excès de bonnes intentions.
Bien sûr qu’on a voulu souligner l’horreur, la montrer, la nommer, mais certaines scènes sont tellement lourdes qu’elles édulcorent le propos.
Heureusement, l’histoire demeure bien construite et le sort de ces petits anges déracinés (les jeunes comédien.ne.s autochtones sont d’ailleurs très attachant.e.s) ne peut que nous atteindre en plein cœur.
Radio-Canada mentionne que les intrigues de Pour toi Flora sont fictives, mais évidemment inspirées de divers témoignages réels puisés au Québec, au Canada et ailleurs en Amérique.
Pour toi Flora est disponible sur ICI Tou.tv Extra et sera diffusée à ICI Télé dans la prochaine année, ainsi que sur APTN. Une version doublée en anishinaabemowin (langue anishinaabe/algonquine) est aussi accessible.