L’initiative Le 12 août, j’achète un livre québécois souffle cette année ses 10 bougies. Pensé pour soutenir le milieu littéraire d’ici, l’événement est devenu un incontournable pour les lecteur.trice.s et les librairies, qui se font un devoir de mettre en valeur les auteur.trice.s du Québec à l’occasion de cette journée.
Et parce que rien ne dit que l’on doit se limiter à un seul livre, les journalistes de Métro vous font 12 suggestions de bouquins à ajouter à votre panier.
Mise en forme de Mikella Nicol, Le Cheval d’août
Mikella Nicol nous amène au cœur d’une rupture amoureuse qu’elle tente de traverser à coup de séances de fitness sur YouTube. C’est qu’en cette période déstabilisante de sa vie, sculpter ses muscles lui permet de reprendre le contrôle. Ou une illusion de contrôle. Mêlant le récit autobiographique et l’essai, l’autrice nous transporte dans une tranche de sa vie tout en portant un regard sur l’industrie du fitness et de la beauté. Son propos sur cet idéal de beauté inatteignable est hautement pertinent et captivant, d’autant plus qu’il est parsemé de réflexions féministes et d’anecdotes parfois troublantes. Un livre à la fois facile à lire et gorgé d’informations qu’on dévore à grande vitesse.
— Arianne Lebreux-Ebacher
Personnages secondaires de Jeanne Dompierre, Québec Amérique
Un soir d’hiver à Montréal, Chrystelle disparaît. Au fil des chapitres du roman choral résolument féministe se succèdent les voix de femmes sur lesquelles se répercute ce qui a toutes les apparences d’un enlèvement. D’abord, les dernières amies à l’avoir vue vivante au sortir du bar cette fatidique soirée-là: Amaryllis, qui tente de garder le trio uni au nom de leur amitié datant du secondaire, malgré une complicité s’étiolant, et Sarah, qui se perd dans l’alcool et les baises sans lendemain, rongée par la culpabilité d’avoir proposé un dernier verre. S’expriment aussi une barmaid désabusée mêlée malgré elle au drame, une jeune journaliste ambitieuse férue de true crime ainsi que la mère de la disparue, fielleuse. Chacune a sa voix propre, éclairant de sa perspective des situations communes, par lesquelles l’autrice Jeanne Dompierre aborde les violences infligées aux femmes.
— Caroline Bertrand
Le plein d’ordinaire d’Étienne Tremblay, Les Herbes rouges
Pour son premier roman, le jeune auteur Étienne Tremblay s’est replongé dans les souvenirs qu’il a de la fin de son adolescence, dans le Boucherville du tournant des années 2010. Il raconte l’été entre la cinquième secondaire et l’entrée au cégep de Mathieu, un habitué des stations-service de la Rive-Sud qui accepte un poste de caissier de nuit dans l’espoir de se rapprocher d’une collègue qui lui est tombée dans l’œil. L’auteur utilise un langage commun tout en déployant une plume ultraprécise, propulsant aisément les lecteur.trice.s dans le quotidien ennuyant et l’état d’esprit obsessif de son protagoniste. Cette immersion est faite avec beaucoup d’adresse et d’humour pour une lecture absolument réjouissante.
— Jules Couturier
Maudite sloche de Carol Courchesne et Annie Boulanger, Michel Gosselin Éditeur
Maudite sloche de Carol Courchesne, dont l’histoire se déroule au début des années 1990, opte pour une version lumineuse d’un Québec indépendant. Si cet aspect uchronique sert surtout de toile de fond, plusieurs éléments positifs découlent d’un Oui gagnant en 1980, dont des relations plus harmonieuses avec les Premières Nations. Cependant, l’essentiel de ce récit initiatique porte sur un jeune adulte avec de l’embonpoint qui vit une aventure torride avec une femme ayant deux fois son âge, ce qui lui permet de bâtir sa confiance en lui. À travers le tout, le roman illustré propose quelques passages très réussis flirtant avec le thriller, voire l’horreur.
— Jason Paré
Raté de Hugo Meunier, Stanké
Qu’est-ce qui peut être pire qu’être déprimé au point de vouloir mettre fin à ses jours? Rater son suicide et se retrouver dans le même état, mais sans pouvoir faire usage de ses membres. C’est ce qui arrive à Christian, acteur dont la carrière n’a jamais vraiment levé et dont le couple est à la dérive. Alors qu’il doit apprendre à vivre dans sa nouvelle condition, il tente de reconstruire ses relations brisées avec son amoureuse et leur fils. Dans l’adversité, peut-être pourra-t-il retrouver le bonheur avant qu’il ne soit trop tard. Loin d’être déprimant, ce nouveau roman du journaliste et chroniqueur Hugo Meunier fait souvent sourire, mais porte aussi à réfléchir sur la perte: celle de nos rêves, de nos proches, de nos capacités.
— Constance Cazzaniga
La pesée du cœur de Catherine Harton, Éditions Marchand de feuilles
Un premier roman fort joliment rédigé, dans lequel on s’attache aux quêtes introspectives de guérison et de transformation de deux sœurs endeuillées, qui s’échangent le rôle de narratrice tout au long du récit. Depuis que sa jumelle a été emportée par le courant d’une rivière, Marianne a l’impression de vivre à côté de son corps, de ne plus rien ressentir. Elle quitte son emploi de travailleuse sociale (champ d’études de l’autrice Catherine Harton) afin d’animer un groupe d’entraide pour personnes anxieuses. De plus, afin de comprendre les derniers jours de sa sœur bien-aimée et de se délester du poids de son fantôme, elle s’immerge dans la recherche documentaire amorcée par Nathalie avant son trépas, accompagnée d’un ami commun. Alice, la benjamine, trouve dans son atelier le journal intime d’une femme y ayant vécu des décennies plus tôt, écrits qui l’aideront à guérir, tout comme son rapprochement avec un copain.
— Caroline Bertrand
Que notre joie demeure de Kevin Lambert, Héliotrope
Kevin Lambert a déjà su se faire un nom dans le milieu littéraire, son livre Querelle de Roberval ayant été sélectionné en 2019 pour le prestigieux prix Médicis. Son troisième roman, Que notre joie demeure, a été chaleureusement accueilli lors de sa parution, l’automne dernier, et connaît un regain d’intérêt cet été à la suite d’un échange entre François Legault et l’auteur, qui a rabroué le premier ministre. On suit ici une riche architecte qui tombe de très haut lorsque le nouveau projet de sa firme devient le symbole de la crise du logement et de la gentrification d’un quartier. Écrit habilement par une plume qui sait donner un rythme aux mots, l’ouvrage est une critique de l’absence de dialogue entre les classes sociales et offre un regard sur la culture de l’annulation.
— Constance Cazzaniga
Granby au passé simple d’Akim Gagnon, La Mèche
Granby au passé simple est fortement inspiré par la jeunesse de son auteur et par l’influence déterminante de son père, personnage central du roman et de la vie d’Akim Gagnon, pour qui l’écriture a été très libératrice, confiait-il à Métro en avril dernier. L’auteur a décidé d’écrire au passé simple pour se donner un défi, comme il s’agit d’un temps de verbe qu’on ne retrouve plus beaucoup en littérature contemporaine. Mais malgré cet emploi, Akim continue d’écrire comme on parle… et même de sacrer! En résulte un portrait complexe, souvent très doux, parfois bouleversant.
— Jules Couturier
Un grondement féroce de Léa Arthemise, Héliothrope
L’intrigue de cet atypique et étonnant troisième roman, qui entremêle savamment les époques, s’articule autour du viaduc Rosemont-Van Horne, où s’arrête subrepticement en 2020 sur les rails un convoi de marchandises du Canadien Pacifique. Au même moment, la narratrice solitaire apprend que son amie écrivaine Mia manque à l’appel. Les événements seraient liés. En parallèle de cette disparition qui chamboule la narratrice et qu’elle tentera d’élucider, elle relate l’existence de William Van Horne, qui deviendra le directeur général du Canadien Pacifique, en s’adressant à lui. Léa Arthemise, autrice d’origine française établie dans la métropole depuis 2015, offre un roman brillamment structuré et habilement écrit, empreint de montréalité et d’un suspense qui gronde de manière latente.
— Caroline Bertrand
La pensée woke: analyse critique d’une idéologie de David Santarossa, Liber
Qu’on soit d’accord ou non avec David Santarossa, ce dernier a fait ses devoirs et propose une réflexion intéressante sur ce qui est appelé la « pensée woke ». Il démontre habilement dans son essai qu’une idéologie n’est pas dominante parce que la majorité y adhère, mais plutôt lorsque les institutions étatiques, culturelles et médiatiques s’y conforment. Les propos de l’auteur ne plairont pas à tout le monde, mais son essai est loin d’être un énième pamphlet anti-woke et évite de mettre l’accent sur les anecdotes les plus extrêmes de ce mouvement, préférant se concentrer sur ses porte-paroles les plus modéré.e.s.
— Jason Paré
Stresse pas, minou!, collectif dirigé par Joanie Pietracupa, KO Éditions
Dirigé par Joanie Pietracupa, ce collectif rassemble des voix féminines qui abordent leurs perceptions et expériences de l’anxiété, émotion qui prend souvent trop de place et qui ne se règle pas avec des phrases comme «stresse pas, minou!». Au fil de ces pages parfois touchantes, parfois bouleversantes, parfois tragiques et parfois pleines de beauté, on peut lire les mots de Joanie Pietracupa, Juliette Bélanger-Charpentier, Stéphanie Boulay, Catherine Ethier, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Gabrielle Lisa Collard, Caroline Décoste, Vanessa Destiné, Florence K et Ines Talbi. Leurs témoignages rappellent que l’anxiété peut être envahissante, mais qu’elle est vécue par plusieurs. Ça ne veut pas dire qu’on s’en débarrasse, mais au moins, on se sent moins seul.e et mieux compris.e.
— Arianne Lebreux-Ebacher
Polyphagie de Véronique Drouin, Hurlantes éditrices
Après avoir pris un verre dans un club avec des ami.e.s, Romane se réveille nue et couverte de sang dans le sous-sol humide d’un immeuble désaffecté. Elle n’a aucun souvenir de la veille. Romane trouve près d’elle un cellulaire et une main sectionnée. Alors qu’elle tente de comprendre ce qui lui est arrivé lors de cette soirée, Romane sent que son corps se métamorphose et que son appétit devient insatiable. Trouble alimentaire, comportement toxique, drogue du viol, mouvement #MeToo… tout y passe. Un roman d’horreur féministe qui se lit d’une traite et qui illustre avec justesse les conséquences désastreuses qui peuvent se produire lorsque l’on décide de se faire justice.
— Jason Paré