Le comédien Emmanuel Schwartz explore dans un mélange d’impétuosité et de vulnérabilité les avenues de l’autofiction dans sa création Le partage, présentée jusqu’au 9 mai à La Chapelle.
L’auteur, qui signe aussi la mise en scène de ce solo, l’a créé « à la fois dans une tentative d’empathie envers soi-même et le jugement impitoyable de sa propre expérience », relate-t-il en entrevue avec Métro.
Celui qui a campé l’Écrivain public dans la série homonyme a beau en être à son quatrième solo, il était « en proie à la terreur et au vertige absolu » quand nous lui avons parlé, peu avant ses premières représentations.
Déchéance publique
Schwartz incarne l’Acteur, qui sombrera dans une âpre déchéance le soir même où l’industrie le récompense pour son rôle dans le film fantaisiste d’animation (fictif lui aussi) Vampires. Sur les murs du décor amovible est projeté son avatar 3D, avec qui l’Acteur dialogue tout au long de sa rechute (dans la drogue, la souffrance amoureuse, le ressentiment…).
« L’avatar est la voix d’une conscience qui juge sévèrement les expériences de l’Acteur », indique Emmanuel, dont le solo est nourri de certaines épreuves qu’il a vécues.
« Par des allégories vampiresques et des paraboles de science-fiction, je dévoile les choses les plus personnelles et autobiographiques de mon histoire. »
Conscience éclatée
Emmanuel Schwartz décrit Le partage comme « les multiples itérations d’une conscience éclatée ». Conscience à l’image de son spectacle bouillant, façonné de mises en abyme « à la fois formelles et philosophiques », relève-t-il.
Sur scène, le créateur navigue habilement entre la soirée où l’Acteur se couvre d’opprobre devant ses pair.e.s de l’industrie, le tournage de l’acclamé Vampires et des scènes de ce film « qui en révèle plus sur l’Acteur qu’il aurait voulu se l’avouer », expose Emmanuel Schwartz.
C’est en constatant la prépondérance du mode documentaire et du théâtre-vérité sur les scènes qu’il a voulu explorer ces genres. « La recherche d’élucidation de questions sociales et éthiques sur nos scènes, est-ce que ça doit primer sur le fait de raconter des histoires, sur le plaisir de l’imaginaire? », s’est-il entre autres demandé.
Au vu « des œuvres puissantes de créateur.ice.s qui partent vraiment de leur vécu ou de recherches sur des problématiques réelles », Emmanuel s’est demandé, curieux, s’il avait, lui aussi, quelque chose à raconter. Il est après tout « né avec une cuiller dorée dans la bouche » au sein d’une famille aimante et gagne sa vie en exerçant le métier dont il rêvait, a-t-il pensé.
« Est-ce que c’est complaisant de parler de mes problèmes, moi qui suis dans une position confortable dans le monde? Moi, dont les seules grandes épreuves auxquelles j’ai fait face sont le résultat de mon propre sabotage. »
Explorer les échecs
D’ailleurs, c’est exactement ce que fait l’Acteur dans Le partage : se saboter. « Par curiosité morbide, j’ai choisi d’explorer l’échec », expose Emmanuel.
« Quand j’ai fait face à certaines épreuves que je raconte dans le spectacle, j’avais souvent des points de vue extrêmement complaisants, égocentriques, voire mégalomaniaques, qui m’ont mené à quelques bons murs », avoue-t-il.
Au cours de l’écriture du Partage, qui s’est échelonnée sur environ quatre ans, il gardait en tête la question que lui avait posée sa complice de longue date Alice Ronfard, metteuse en scène de l’odyssée La traversée du siècle, à laquelle il prend part : qui est-ce que ça va intéresser vraiment, hormis les ami.e.s et la famille? Est-ce que c’est pertinent?
Au fil des nombreuses itérations de ce qui deviendrait Le partage, Emmanuel Schwartz convient que « certaines versions pouvaient être plus complaisantes qu’autre chose ».
« Je me pose encore la question : les traumas d’un enfant comme moi et les combats avec la dépendance d’un adulte comme moi, est-ce que c’est valide? Est-ce que ça connecte avec des gens qui vivent d’autres combats? Cette question m’a poursuivi tout au long de l’écriture du projet. »
Créer à coups de trilogie
Le partage constitue le deuxième volet de son triptyque Essais, amorcé avec la création collective L’exhibition, présentée en 2017 au Festival TransAmériques. Les balbutiements du troisième, qui s’intitule pour l’heure Famine, sont même déjà émis, dit l’auteur.
Force est de constater qu’Emmanuel Schwartz a une propension à créer à coups de trilogies, lui qui avait précédemment écrit le cycle Chroniques.
« On peut voir ça de deux manières : soit j’ai un imaginaire un peu tentaculaire ou j’ai une conscience un peu schizophrénique. Une idée ne vient jamais seule », illustre-t-il.
« Creuser une question sous un certain angle éclaire immédiatement ce qui n’est pas pris en compte. Ça provoque ce dédoublement, voire triplement de la question. C’est pour cela qu’immédiatement deux autres versions de show apparaissent. »
Bref, chaque question « devient un dilemme identitaire ». Et une idée « s’incarne toujours par de multiples dispositifs artistiques » dans sa tête.
En approfondissant le processus de création d’une œuvre en collectif avec L’exhibition, Emmanuel s’est demandé comment ce dialogue intérieur se déployait d’un point de vue solitaire. Ainsi ont fusé les premières pistes du Partage, indique-t-il.
Se perdre en solitaire
En mettant également en scène Le Partage, Emmanuel Schwartz a voulu « aller au bout du parcours solitaire de l’artiste ». « Je voulais voir jusqu’où je pouvais me perdre tout seul », dit-il en rigolant.
« Est-ce que c’est Flaubert qui disait qu’on n’écrit jamais seul, qu’on écrit avec les fantômes des grands, avec ceux qui nous influencent? Ces figures de grands créateurs, on les imagine seuls dans une cabane dans le bois, même si ce n’est pas le cas. Je voulais aller voir ce qu’il y avait dans ma cabane. »