«Envies» d’Anne-Marie Desmeules: des femmes et leurs parts d’ombre
Envies, quatrième recueil de la poète Anne-Marie Desmeules paru récemment aux éditions du Quartanier, se penche avec audace et pertinence sur ce qui gruge de l’intérieur l’existence des femmes. À travers une kyrielle de personnages féminins faisant chacun l’objet d’une suite de poèmes, l’écrivaine met en lumière les exigences et contraintes qui pèsent sur leur quotidien, de même que les désirs – souvent laids et inavouables – qui les habitent.
Si le deuxième recueil d’Anne-Marie Desmeules, Le tendon et l’os, qui a remporté le Prix du Gouverneur général en 2019, abordait déjà le thème de la laideur sous l’angle de la maternité, cette fois, l’autrice embrasse plus large, explorant le flot des désirs, souvent honteux, qui bouillonnent ou sommeillent en ces femmes. Les poèmes courts et rythmés d’Envies captent celles-ci sur le vif, imaginant chaque fois l’expérience singulière, concrète, qu’elles font du monde: ici, c’est Laure qui élève ses enfants en en ayant marre de «l’optimisme des voisines à cupcakes», là, c’est Warda qui «tremble d’aversion / pour les femmes trop belles», et là encore, c’est Luce qui «économise / pour un visage neuf».
Bien que les poèmes évoquent le côté moins reluisant de ces femmes, les images saisissantes qui parsèment Envies – corps, objets, faune et flore s’y animent d’une nouvelle vie – dissolvent les frontières entre la laideur et la beauté, frôlant l’inquiétante étrangeté, telles ces femmes aux «sourires de citrouilles bien taillées».
au matin le même tiraillement
Extrait d’Envies d’Anne-Marie Desmeules
le même hibou momifié dans la poitrine
une soif lancinante la tenaille
ça enfle et monte
se loger dans les capillaires
dans les villosités
à la racine des cheveux
ça pousse et grafigne
ça se tord d’envie
elle accumule
elle est un compte à intérêt élevé
Multipliant les points de vue, Envies se tient loin de toute perspective surplombante, voire essentialiste, qui chercherait à «étudier ce que signifie d’être femme», à définir ce que serait le féminin. «Je ne parle pour personne», écrit la poète, et ce n’est pas un hasard si ce recueil n’est pas écrit au «nous», mais accueille une pluralité de «elles», s’attachant à esquisser les contours, pour chacune de ces femmes, de cette laideur d’ordinaire tue ou dissimulée sous les convenances et les usages habituels.
C’est dans ce travail sur la diversité des expériences de ces femmes que se dévoile, en filigrane, la dimension féministe de cette poésie portée par la voix singulière, teintée d’irrévérence, d’Anne-Marie Desmeules.
Envies d’Anne-Marie Desmeules, paru aux éditions du Quartanier, est disponible en librairie.