Marie-Chantal Toupin qui explique comment le brocoli dans son réfrigérateur lui permet de rompre avec son passé. Jacques Boulanger qui image une relation sexuelle en fantasmant avoir «soif de cuisses qui coulent». Robby Johnson qui n’en revient pas d’avoir regardé Ad Lib dans son enfance, même si l’émission était diffusée à 22h…
Vous croyez qu’on décrit des extraits de sketchs de Bye bye? Non, ces sages paroles ne sont pas des parodies. Ce sont de vraies histoires, tirées de vraies autobiographies de personnalités québécoises, que lisent de talentueux.ses artistes maniant avantageusement le deuxième degré (Anaïs Favron, Isabelle Blais, Pierre-Luc Brillant, Denis Bouchard, Rémi-Pierre Paquin, Sébastien Trudel…) dans le Cabaret Bio Dégradable, lequel reprenait l’affiche jeudi soir, au Lion d’Or, après quelques renaissances sporadiques dans les 14 dernières années, toujours couronnées de succès.
Habituées à se mirer sur les pages couvertures des magazines artistiques qui se passionnent pour le contenu de leurs assiettes au petit-déjeuner, ou sur leur propre page Instagram, certaines «vedettes» (pour peu qu’on puisse appeler «vedettes» d’ex-lofteur.euse.s) surestiment parfois l’importance de leur place dans l’univers, expliquait récemment à Métro le producteur Didier Morissonneau, «père» de cette fabuleuse idée du Cabaret Bio Dégradable. Et, jugeant leurs tranches de vie quotidiennes dignes d’être saluées à la face du monde, ces visages connus (ou pas) livrent leurs états d’âme dans des autobiographies.
Publiées. Commercialisées. Par d’authentiques maisons d’édition.
Bien sûr, certaines «victimes» du Cabaret Bio Dégradable ont bâti des carrières solides et respectables, comme France Castel ou Chantal Pary. Mais nul n’est à l’abri d’un dérapage littéraire, et le rendez-vous de poésie bon marché qu’est le concept Bio Dégradable tourne autant en dérision les propos des starlettes de téléréalités à l’étoile éphémère que ceux des aguerri.e.s.
Et c’est absolument tordant. Hilarant. Et désespérant.
Contenu juteux
Le plus formidable dans cette joyeuse galère de décapante ironie? Les lecteur.trice.s ne changent pas une virgule des paragraphes qu’iels lisent. Ce sont leurs intonations, leurs regards, qui insistent sur le ridicule du propos. Et ça devient du délicieux théâtre.
On laisse évidemment le pied de la lettre au vestiaire en s’assoyant au Cabaret Bio Dégradable. D’ailleurs, l’inénarrable Didier Morissonneau donne le ton en ouverture, en décrétant, à l’endroit des étudiant.e.s de l’UQAM et des journalistes du Devoir, que le spectacle n’est pas un safe space et que des dédommagements seront octroyés en cas de microagression ou de racisme systémique.
Mais, sérieusement, c’est fou, la quantité d’informations «pertinentes» qu’on absorbe pendant ce Cabaret Bio Dégradable. Tenez-vous bien, c’est du juteux.
Comme le fait que la maman de France Castel (Solide et fragile) aurait voulu n’avoir que trois enfants, qu’elle en a finalement accueilli huit, et que l’actrice, quatrième de la lignée, s’est toujours sentie comme le grain de sable dans l’engrenage. Une révélation qu’elle répète à deux reprises dans son bouquin (?!), à quelques tournures d’expressions près de différence.
Comme les anecdotes «d’enfant créatif» du chanteur country Robby Johnson (De la Beauce à Nashville, tous les rêves sont permis). «Quand je coloriais, je ne dépassais pas les lignes…» Le sens du punch du narrateur Denis Marchand, ici, fait le travail à lui seul. Plus tard, on apprend – ô, le choc – que Robby avait jadis promis ne jamais prénommer son futur fils Hugo. Double stupéfaction quand on apprend que ledit garçon, aujourd’hui né, s’appelle… Pierre-Hugo. Avouez qu’on ne l’aurait jamais vue venir.
Comme ces initiations à la sexualité de Chantal Pary (J’ai tout caché derrière mes sourires) qu’une Isabelle Blais mi-candide, mi-baveuse, déverse comme si elle relatait un conte pour enfants. Il est question d’une soirée aux danseuses et d’un pacte de chasteté.
Le voyage astral d’Anne Létourneau, Mad Dog Vachon et ses exploits pas chics de lutteur affrontant des «mots en N», la perception très «moderne» de la femme de Jacques Boulanger, le désir d’Elisabetta Fantone de Loft Story de s’enrôler dans les Forces armées canadiennes (mais le bureau était fermé!), le «pétage de coche» de feu Michel Girouard envers les bisexuels (que Pierre-Luc Brillant rend magistralement)… C’est un bonbon après l’autre.
Qui sait si Éliane Gamache Latourelle, alias la «jeune millionnaire», n’a pas écrit La jeune millionnaire et les secrets parfois tristes de son succès spécialement pour nourrir la bête, tant sa prose constituait de la chair parfaite pour les «loups» du Cabaret Bio Dégradable. «Il faut faire flèche de Cupidon de tout bois», annonce celle qui a grandi «dans une maison sans garage», qui entretient une «dépendance à la gomme» et à qui «on a volé [son] enfance», alors qu’elle regardait les avions décoller de l’aéroport de Mirabel à partir d’une fenêtre de chambre d’hôtel. Le reste, déclamé par le parfait pince-sans-rire Kim Lavack Paquin, est d’un surréalisme à vous en faire hurler «LOL!». (Les vrai.e.s savent…)
La palme de la soirée revient néanmoins à Denis Bouchard, qui assure les intermèdes en récitant de courts segments (une ligne à la fois) d’un classique du Cabaret, Un automne au loft, de Julie Lemay, première gagnante de Loft Story, en 2003. Des déclarations tellement absurdes qu’on peine à croire qu’elles aient vraiment été imprimées.
Seul bémol à relever? Les lectures sont parfois un tantinet trop longues… (Comme notre critique). Mais, que voulez-vous, il y a tant de judicieux contenu à partager dans cette grande librairie qu’est devenue notre show business québécois. Difficile de faire des choix.
Allez-y, bidonnez-vous, et, ce faisant, contribuez à redonner à la nature ce que nos géant.e.s québécois.e.s leur a enlevé en sacrifiant des arbres pour alimenter ainsi leur amour-propre. Car une partie des profits du Cabaret Bio Dégradable est remise à Tree Canada, fondation contribuant à accroître le couvert forestier du Canada.
Les écrits restent, oui, et ils n’auront pas été vains.
Le Cabaret Bio Dégradable sera à nouveau présenté au Cabaret du Lion d’Or, à Montréal, le 19 août. Les billets sont présentement en vente.