Ce qu’il reste de moi, de Monique Proulx: l’appel au dépassement
L’entreprise dans laquelle Monique Proulx s’est embarquée pour écrire Ce qu’il reste de moi est de grande envergure: remonter aux origines de Montréal pour illustrer, à travers une brochette de personnages de tous les horizons, à quel point nous sommes tous portés par la même soif de dépassement. Nul doute qu’elle aussi est concernée. Rencontre.
Tous les personnages de votre roman évoluent dans le Montréal moderne, à l’exception de Jeanne Mance, protagoniste de chapitres décrivant les moments phares de la fondation de Ville-Marie. En quoi unit-elle les autres personnages?
Ma théorie est que tous les Montréalais, qu’ils soient engagés dans une religion, fanatiques de hockey ou même itinérants sont portés par une soif d’absolu. Cette faim qui nous dévore, c’est l’héritage de Jeanne Mance. Mon défi était de faire un roman contemporain avec des personnages d’aujourd’hui. Les morceaux historiques, c’est une trentaine de pages sur 400, un fil qui relie nos origines. Je voulais absolument raconter les faits saillants de cette grande période.
Pourquoi s’intéresser à Jeanne Mance en 2015?
Je pensais qu’elle était religieuse. Quand j’ai découvert qu’elle était laïque, ça a complètement changé ma perception. Qu’est-ce qu’une laïque venait faire au bout du monde? Une femme seule, pas mariée, jeune, qui aurait toute la vie devant elle, que vient-elle faire dans une contrée perdue, loin de toute civilisation? J’ai ainsi commencé à m’intéresser aux débuts de Ville-Marie et j’ai été sidérée par la grandeur de nos origines, qu’on ignore totalement. Cet incroyable engagement était forcément dépourvu d’égoïsme. C’est ça nos origines! Il ne peut pas ne pas en rester des traces.
Un de vos personnages, Virginie Hébert, dirige un refuge pour personnes itinérantes. Serait-elle une héritière de Jeanne Mance par son abandon de soi?
Oui, il y a quelque chose d’elle qui n’a pas de «moi», qui est entièrement dédiée, mais qui a un caractère fort et de l’humour. Elle est capable de se tenir debout. Je pense que Jeanne Mance était comme ça aussi, il le fallait!
Parmi les Montréalais qui font battre le cœur de la ville, vous donnez en exemple les fans de hockey. Êtes-vous fan du Canadien ou plutôt fan de ses fans?
Oh mon Dieu! Mon chum aime bien le hockey et, de temps en temps, j’en écoute des bouts chez lui. Sinon, je vois ce qu’il y a sous les fans du Canadien, quelque chose de pas si anecdotique que ça. C’est une foi, un désir de se dépasser, projeté sur d’autres. Je me suis mis à voir toutes les manifestations montréalaises sous cet angle, c’est la même chose pour la Nuit blanche de Montréal en lumière, qui est présente dans le livre. Je parle des gens, mais il y a des situations à Montréal qui sont cet appel de grandeur.
Montréal est votre lieu de prédilection. On reconnaît dans votre livre ses lieux emblématiques, ses rues, son climat, comme s’il s’agissait d’un personnage à part entière. Montréal est-elle votre muse?
On ne peut jamais prédire où un livre va nous amener, mais c’est sûr que Montréal est très riche. Il y a non seulement des lieux à Montréal, mais des situations. La tempête du verglas, qui est vécue par Gabrielle dans un chapitre, c’était une période incroyable, parce qu’il y a eu une entraide incroyable, un soudain élan de générosité des gens qui ont ouvert leur foyer pour accueillir ceux qui restaient dans des refuges. C’est ce que j’appelle cet appel au dépassement; il y avait plus d’offres d’hébergement que de gens qui en avaient de besoin!
Des barrières tombent dans votre livre, notamment entre les religions et entre les classes sociales. Était-ce votre intention?
Absolument, mais pas une intention théorique. C’est comme ça que je vois le monde. Je ne vois pas de frontières. C’est artificiel. C’est pas parce qu’une personne a de l’argent qu’elle est différente des autres. Et je ne trouve pas que les riches soient moins humains que les pauvres. Il y a des trous de cul partout! (Rires) Mais ce n’est pas tant les trous de cul que je traque que les grands de cœur.
«Il faut se vider de soi-même et laisser entrer les choses, et là, toutes les habiletés qu’on a acquises au fil de sa vie se mettent en marche.» – Monique Proulx
Ces grands de cœur, il y en a dans tous les milieux…
Je voulais des gens authentiques. Par exemple, la mère du jeune hassidique qui part à sa recherche est un personnage que j’adore. Elle croit profondément à cette façon de pratiquer. J’avais envie de donner ça sans jugement. C’est beau, quelqu’un qui a une ferveur! Elle ne cherche pas son bien-être personnel, c’est une ferveur qui repose sur un oubli de soi-même, tout comme la ferveur de Jeanne Mance.
Dans un chapitre, quatre personnages sont les invités de Silence on parle – un clin d’œil à Tout le monde en parle – dont Laurel, qui y est invité pour un roman décrit comme «une manière de roman gigogne où les personnages sont régurgités les uns à la suite des autres, et parfois les uns dans les autres». Un livre qui pourrait être le vôtre. Est-ce une forme d’autodérision?
Absolument. Je suis allée à l’émission. Je m’y suis sentie comme Virginie, qui se montre très à l’aise au début, puis qui bloque en entrant dans le studio, car c’est vraiment terrifiant entrer dans ce studio! C’est immense et tellement illuminé… C’est pas chaleureux du tout. C’est comme s’ils s’arrangeaient pour que tu sois un peu inconfortable. Ceci dit, ça reste une émission importante et c’est vrai que toute la société montréalaise défile là. Je voulais en parler parce que c’est une sorte de grand-messe.
Le titre de votre livre est prononcé par le personnage de Khaled. Pourquoi avoir nommé votre roman ainsi?
Ça s’applique à toutes sortes de choses et d’êtres, «ce qu’il reste de moi». On pense à Jeanne Mance d’abord. Mais tous les personnages pourraient le dire. Quand on est allé à l’essentiel, que reste-il de l’ancien soi? On se rend compte que c’était des pelures d’oignons, des couches artificielles. Ça s’applique aussi à moi, et au lecteur.
Ce personnage, Khaled, avance qu’«une unité mystérieuse sous-tend l’apparente diversité du monde». Ça résume bien votre livre. Finalement, toutte est dans toutte?
Toutte est dans toutte! (Rires) C’est drôle que tu dises ça, mais c’est juste!
Ce qu’il reste de moi
Éditions Boréal